Qu'est-ce qui est en jeu?
Selon la Convention citoyenne pour le climat, "aujourd'hui, l'artificialisation des sols progresse d'environ 8,5% par an, soit une augmentation équivalente à un département français moyen en moins de 10 ans entre 2006 et 2015".
Dans ce cadre, le gouvernement a ciblé en particulier les zones commerciales: en la matière, "la France est allée trop loin", a jugé cet été le ministre de l'Economie Bruno Le Maire.
La ministre de la Transition écologique Barbara Pompili a annoncé un moratoire sur les zones commerciales de périphérie. Dans un premier temps, une circulaire signée par le Premier ministre Jean Castex a demandé aux préfets de veiller à la question dans les dossiers d'autorisation commerciale. Le gouvernement prépare en outre un projet de loi, que le secteur attend d'ici à la fin de l'année.
Les commerces sont-ils les premiers responsables?
Des zones commerciales vieillissantes, des parkings régulièrement aux trois quarts vides... Voilà un tableau devenu omniprésent dans la vie des Français.
Pour autant, ce ne sont pas les commerces qui causent le plus d'artificialisation des sols.
"L'imperméabilisation des sols est d'abord liée à la construction de l'habitat", notamment les lotissements, explique Nathalie Lemarchand, professeure à l'université Paris 8 spécialisée en géographie du commerce.
Selon Gontran Thüring, délégué général du Conseil national des centres commerciaux (CNCC), seules 4% des terres agricoles artificialisées ces dernières années l'ont été pour établir des commerces.
Doctorante sur l'artificialisation au Centre international de recherche sur l'environnement et le développement (CIRED), Alice Colsaet nuance le tableau: les zones commerciales contribuent aussi "de manière indirecte" à l'artificialisation, "en drainant des flux de consommateurs à l'extérieur des villes et en incitant encore davantage à s'installer en périphérie". Elle pointe aussi "une surabondance des surfaces commerciales", décorrélée de l'augmentation de la population.
Quel impact d'un moratoire?
S'il reconnaît volontiers que l'offre du commerce alimentaire est "sans doute arrivée à un niveau certain", l'influent patron de la Fédération du commerce de détail (FCD), Jacques Creyssel, rappelle que la demande des Français est en croissance dans certains secteurs. "Pour le jardinage, le sport, il n'y a pas de raison a priori pour limiter la possibilité de créer de nouveaux magasins."
En outre, un "moratoire généralisé" cristalliserait la situation existante, empêchant au commerce de s'adapter à des flux de populations par exemple. Et face à la concurrence des "grands pure player", à savoir les distributeurs présents uniquement en ligne, cela reviendrait "à donner un avantage supplémentaire à Amazon", pointe-t-il.
Un argument étonnamment partagé par certaines associations de défense de l'environnement: le gouvernement "n'acte rien concernant les entrepôts de e-commerce", a protesté fin juillet l'association des Amis de la terre, très mobilisée contre Amazon, pointant une décision "incohérente alors que les entrepôts artificialisent autant de terres que les zones commerciales".
Quelles autres possibilités?
S'il est trop tôt pour savoir ce que contiendra le projet de loi, les suggestions sont nombreuses. "Un moratoire généralisé empêcherait le redéveloppement, la restructuration et la modernisation des équipements existants", souvent vieillissants et qui sont "des réservoirs de m2", estime Gontran Thüring. Il serait possible de les "densifier", y compris avec des programmes mixtes comprenant du logement par exemple, ce qui éviterait aussi d'artificialiser de nouvelles terres.
"Il faudrait dans le même temps une libéralisation extrêmement importante des règles qui pèsent sur la modernisation du parc de magasins existants" et qui "peuvent conduire à privilégier la construction d'un nouveau magasin plutôt que de rénover", abonde Jacques Creyssel.
"Actuellement, la régulation est très décentralisée et dépend un peu du bon vouloir de chaque intercommunalité", observe aussi Alice Colsaet, proposant "d'encadrer un peu plus sévèrement ce que l'urbanisme permet de faire".
Enfin, Nathalie Lemarchand rappelle le besoin d'élargir la réflexion: "les nouvelles zones pavillonnaires ont souvent plus facilement accès aux zones commerciales périphériques dans un déplacement quotidien lié au travail qu'au centre-bourg".