Donnée pour enterré en début d'année en raison d'un calendrier législatif chargé, le texte 4D devenu 3Ds -pour différenciation, décentralisation, déconcentration et simplification-, porté par Jacqueline Gourault, va franchir une première étape au Parlement.
Mais il reste à lui trouver une place à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale pour la rentrée, le cabinet de la ministre de la Cohésion des territoires tablant toujours sur une adoption définitive avant la fin du quinquennat.
Le projet de loi, qui répond à une demande d'Emmanuel Macron, ambitionne d'offrir aux territoires "les moyens d'être plus dynamiques, plus agiles face aux principaux défis auxquels ils font face: la transition écologique, le logement, les transports ainsi que la santé et les solidarités". Pour Mme Gourault, il doit permettre de "donner du souffle à notre démocratie".
Mais à l'instar des collectivités, les sénateurs ont trouvé précisément qu'il manquait de souffle. En commission, puis dans l'hémicycle, ils se sont employés à l'enrichir, dans les limites permises par les règles parlementaires, contraignantes en matière financière. Les 84 articles initiaux ont été gonflés à plus de 200 au fil de la discussion.
"Ce texte se caractérise par une extrême timidité tout en ayant le mérite d'être un fil, aussi ténu soit-il, pour que la sagesse du Sénat s'exprime pleine et entière", avait annoncé la corapporteure centriste Françoise Gatel, avant le coup d'envoi des débats.
La majorité sénatoriale s'est appuyée notamment sur les 50 propositions présentées l'été dernier "pour le plein exercice des libertés locales".
État d'esprit "constructif"
A l'issue de deux semaines d'examen de dispositions souvent très techniques, l'entourage de la ministre salue "l'état d'esprit très constructif" du Sénat et juge le texte modifié par la chambre des territoires "globalement assez en ligne" avec les positions du gouvernement.
Le cabinet se félicite en particulier de "l'équilibre" trouvé sur le sujet "sensible" du logement social. Moyennant des assouplissements pour les maires, le Sénat a validé la pérennisation de la loi SRU obligeant certaines communes à disposer d'un nombre minimum de logements sociaux.
Dans le volet transports, il a autorisé le transfert de routes du réseau national aux départements, mais l'expérimentation de transfert aux régions a été repoussée. Un rejet attribué par le cabinet de la ministre à une "confusion lors du vote" à main levée, sur lequel le Sénat devrait revenir à l'occasion de la seconde délibération demandée par le gouvernement.
Le Sénat a encore donné son feu vert à l'expérimentation d'une recentralisation du Revenu de solidarité active (RSA), qui répond à une demande du Conseil départemental de Seine-Saint-Denis, en proie à des difficultés financières face à l'afflux de bénéficiaires.
Plusieurs points de divergence sont néanmoins apparus avec le gouvernement. Les sénateurs ont ainsi confié la compétence de service public de l'emploi aux régions, disposition à laquelle s'est opposée la ministre. De même le ministère ne veut pas d'une co-présidence du conseil d'administration des Agences régionales de santé (ARS) partagée entre le préfet de région et le président du conseil régional.
Le "dialogue" devrait se poursuivre dans la suite de la navette sur d'autres sujets de désaccord. Le jugeant inabouti, les sénateurs ont ainsi supprimé l'article octroyant, à titre expérimental, aux présidents de conseils régional et départemental, un pouvoir d'instruction sur les personnels gestionnaires de collèges et lycées.
Ils ont mis sur le tapis la question de la médecine scolaire, dont les départements demandent qu'elle leur soit transférée.
La gauche a marqué son opposition à plusieurs dispositions touchant au social, introduites par la majorité sénatoriale de droite, comme la possibilité pour le président du Conseil départemental de demander directement aux bénéficiaires du RSA des documents justificatifs.
Logement social, RSA: les principales mesures du texte
Transports
- Le texte permet le transfert de routes nationales, d'autoroutes et de portions de voies du domaine public aux départements et métropoles. A titre expérimental, les régions pourront se voir confier la compétence d'aménagement et de gestion de routes nationales et autoroutes. Le Sénat a supprimé ce dernier point lors de l'examen dans l'hémicycle, mais un second vote est prévu avant le vote final sur l'ensemble du texte.
- Les collectivités pourront mettre en place des radars automatiques.
- Le texte complète le dispositif de transfert de la gestion des petites lignes ferroviaires aux régions, introduit par la loi LOM sur les mobilités. Il permet d'y inclure les installations de service telles que les gares.
Logement
- Le texte pérennise la loi SRU qui fixe pour certaines communes un nombre minimum de logements sociaux. Il crée un "contrat de mixité sociale" entre le préfet, le maire et le président de l'intercommunalité, dans lequel pourra être adapté le rythme de rattrapage du déficit de logements sociaux.
- Les sénateurs ont adopté plusieurs dispositions visant soit à assouplir les obligations, soit à supprimer les sanctions applicables aux communes n'ayant pas atteint l'objectif.
- Dans les zones de revitalisation rurale (14.900 communes concernées) et les quartiers prioritaires de la politique de la ville, les collectivités pourront acquérir des biens abandonnés ("biens sans maîtres") au bout de 10 ans (au lieu de 30).
Emploi, social
- Le Sénat a confié aux régions, contre l'avis du gouvernement, la politique régionale d'accès à l'apprentissage et à la formation professionnelle des jeunes et des adultes et la coordination des acteurs du service public de l'emploi.
- Pour répondre à une demande du Conseil départemental de Seine-Saint-Denis, est prévue une expérimentation pendant 5 ans d'une recentralisation du Revenu de solidarité active (RSA), pour les départements demandeurs.
- Les sénateurs ont introduit une disposition instaurant la possibilité pour le président du conseil départemental de demander directement aux bénéficiaires du RSA des documents justificatifs.
- Ils ont accru les marges de manœuvre des départements dans le versement du RSA en leur permettant d'imposer une condition de patrimoine pour pouvoir en bénéficier.
- Le texte transfert les directeurs des établissements de l'aide sociale à l'enfance de la fonction publique hospitalière à la fonction publique territoriale, et prévoit leur nomination par le président du conseil départemental.
- Le texte rend obligatoire le recours au fichier controversé des mineurs isolés étrangers (MNA) pour rationaliser leur prise en charge par les départements.
Santé, éducation
- Le conseil de surveillance des Agences régionales de santé (ARS) sera transformé en conseil d'administration. Contre l'avis du gouvernement, la chambre haute a confié sa co-présidence au président du conseil régional conjointement avec le préfet de région.
- Le Sénat a demandé la remise d'un rapport au Parlement sur les perspectives du transfert de la médecine scolaire aux départements.
- Les sénateurs ont prévu d'intégrer la modalité d'enseignement immersif en langue régionale dans le code de l'éducation.
Vie transfrontalière
- Le texte vise à lever des obstacles bureaucratiques pour les régions frontalières, notamment dans le domaine de la santé et des transports.
Environnement, tourisme...
- Les sénateurs ont introduit de nouveau une disposition, non retenue dans le projet de loi climat, visant à donner un droit de veto aux maires sur l'implantation d'éoliennes sur leurs communes. Les régions pourraient elles augmenter, en fonction de la hauteur des éoliennes, "pales comprises", la distance par rapport aux habitations.
- Le Sénat a permis aux communes classées en station de tourisme, membres d'une communauté d'agglomération, de retrouver si elles le souhaitent l'exercice de la compétence "promotion du tourisme", dont la création d'offices de tourisme.
- Le texte initie le transfert du Haras national du Pin au département de l'Orne.
Outre-mer
- Un état de calamité naturelle exceptionnelle outre-mer est créé à titre expérimental, pour une durée de 5 ans. Il aurait pour effet de faire présumer l'urgence ou la force majeure pour l'application de toute réglementation par les autorités publiques en vue de répondre à la crise.