Inhabitable, bordé par une autoroute, survolé - hors crise sanitaire - par les avions du Bourget et de Roissy, mais stratégiquement placé à 20 km au nord de Paris et à l'Est du Val-d'Oise, le Triangle de Gonesse et ses 280 hectares de terres agricoles nourrissent depuis longtemps l'appétit des pouvoirs publics.
Mais les grands projets, onéreux, ont perdu l'adhésion d'une partie de la population qui les juge contraires aux défis environnementaux.
Dans la foulée de l'abandon du projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique), Emmanuel Macron a décidé en novembre 2019 de renoncer au méga-complexe commercial et de loisirs Europacity, dont le gigantisme hérissait autant défenseurs de l'environnement que petits commerçants.
Faute de ce grand projet vecteur d'emplois, les élus locaux s'attachent désormais mordicus à la réalisation d'une gare du métro de la future ligne 17, censée relier en 2030 Saint-Denis à l'aéroport de Roissy, et d'une zone d'activités aux contours encore flous.
"Remettre en question la gare du Triangle de Gonesse est impensable", fulmine Pascal Doll, président (DVD) de la communauté d'agglomération Roissy-Pays de France, estimant que la ligne est un besoin "vital" pour dynamiser l'activité économique, essentiellement tournée vers l'aéroportuaire.
"La seule gare du Grand Paris Express dans le Val-d'Oise" désaturerait le réseau routier et le RER B en convoyant "environ 15.000 voyageurs" par jour, calcule Marie-Christine Cavecchi, présidente (LR) du conseil départemental, soutenue par la présidente (Libres!) de la région Ile-de-France Valérie Pécresse.
En décembre, le préfet du Val-d'Oise Amaury de Saint-Quentin a remis à Matignon un rapport contenant une liste éclectique de projets envisageables autour de la gare, sur 110 hectares: une "cité scolaire à vocation internationale", un "centre de conservation" de la Bibliothèque nationale de France, un relais du marché de Rungis...
Les arbitrages seront rendus par Jean Castex qui doit dévoiler, "a priori fin mars" selon Matignon, un "plan" pour ce département francilien qui compte quelque 123.000 personnes pauvres.
"Risque irréversible"
Mais les opposants refusent tout aménagement et veulent conserver ces "terres fertiles" grâce à un projet alternatif agricole basé sur les circuits courts.
"Depuis quarante ans, ils ont toujours eu envie, essayé, de bétonner" le site, maugrée Bernard Loup, infatigable président du Collectif pour le Triangle de Gonesse (CPTG).
Ce projet est "complètement inutile par rapport aux besoins des habitants du territoire qui réclament que les centaines de millions fléchés sur la desserte du Triangle soient réorientés vers l'amélioration de leurs transports du quotidien", conspue le CPTG.
Le coût de la ligne 17 est évalué à près de 3 milliards d'euros.
Le collectif - appuyé par certains élus- soutient une "zone à défendre" (ZAD) qui occupe depuis le 7 février une partie du site, d'où doit partir un tunnelier.
"C'est un risque majeur, irréversible, que de voir ces terres artificialisées alors que l'Accord de Paris (sur le climat de la COP21, ndlr) a été signé à quelques kilomètres de là au Bourget (...) et alors même que tout le monde, la main sur le coeur, multiplie les discours verts", tacle Julien Bayou, le secrétaire national d'EELV.
La Fédération nationale des usagers de transports (Fnaut), qui conteste depuis longtemps l'intérêt de cette ligne, demande le gel du chantier.
La Société du Grand Paris (SGP), chargée de construire le supermétro, a pourtant entamé des travaux préparatoires sur site. "La ligne 17 garde son utilité" car elle est "un vrai itinéraire des transports du quotidien", affirme son président Thierry Dallard.
La gare, "c'est devenu le totem de la gauche: si vous êtes pour l'urbanisation du Triangle, vous êtes pour siphonner la planète", déplore l'élu régional socialiste Ali Soumaré, convaincu que des projets agricoles et d'autres, "structurants et raisonnables", peuvent "cohabiter".
Sous de tels auspices, la mise en service de la gare a déjà été repoussée à 2028.