"Quand une entreprise a les moyens de verser des dividendes, elle doit en faire bénéficier ses salariés", répète à l'envi le ministre de l'Économie, Bruno Le Maire.
Pour préserver le pouvoir d'achat face à l'envolée des prix, l'exécutif exclut de réinstaurer l'indexation des salaires sur l'inflation, supprimée en 1983 en France, de crainte d'entretenir une spirale inflationniste.
A la place, il propose de créer un dividende salarié, qui permettrait un meilleur partage du profit des entreprises en direction des salariés.
"Il sera mis en œuvre, c'est une question de justice", a martelé vendredi Bruno Le Maire sur BFM Business. "On ne peut pas demander aux Français de travailler plus longtemps", a-t-il ajouté en référence à la réforme des retraites, "et ne pas leur garantir en même temps une plus juste rémunération de leur travail".
Les modalités d'un tel dividende, qui rencontre la résistance du patronat, restent toutefois à définir.
Une loi contraignante "au cours du quinquennat" a été annoncée à l'automne. Début janvier, M. Le Maire a promis "des propositions concrètes" ainsi qu'"une convention" en février sur cette thématique.
PME à la traîne
Plutôt qu'un nouveau mécanisme, experts et partenaires sociaux jugent plus opportun dans l'immédiat d'élargir, en les rendant plus attractifs et manœuvrables, les outils de partage de la valeur existant déjà.
Il y a notamment la participation (mécanisme de redistribution des bénéfices obligatoire dans les entreprises de plus de 50 salariés) ou l'intéressement (prime facultative liée aux résultats ou aux performances non financières), qui s'accompagnent d'avantages fiscaux.
C'est ainsi qu'à l'invitation du gouvernement, patronat et syndicats planchent depuis novembre sur leur généralisation et simplification, surtout pour les plus petites entreprises, encore à la traîne - le dividende salarié n'est pas en tant que tel au menu des échanges.
Selon la Direction statistique du ministère du Travail (Dares), 88,5% des salariés d'entreprises de plus de 1.000 personnes bénéficiaient d'un dispositif de partage de la valeur en 2020, contre moins de 20% dans celles de moins de 50 salariés.
Outre le coup de pouce financier, ces dispositifs ont l'avantage d'attirer et fidéliser les talents, un argument essentiel en cette période de recrutements difficiles.
Leur déploiement rencontre cependant de nombreux obstacles, surtout chez les PME et TPE. Malgré des assouplissements déjà décidés dans la loi Pacte de 2019 et celle de l'été 2022 sur le pouvoir d'achat, sont cités complexité et méconnaissance des dispositifs, manque d'accompagnement, formule de calcul complexe pour la participation, risques administratifs, etc.
Autre frein, la prime exceptionnelle défiscalisée et désocialisée (ex-"prime Macron"), une option plus souple parfois choisie par les entreprises au détriment d'outils de partage de la valeur.
"Pourquoi faire compliqué si on peut faire simple?", résume auprès de l'AFP Agnès Bricard, l'un des trois ambassadeurs chargés par le gouvernement de promouvoir les outils disponibles.
"Usine à gaz"
"Dans des PME, il faut parfois un à deux ans avant d'aboutir (à un accord) sur l'intéressement", pointe Nicolas Meurant, avocat associé chez Deloitte. Il lui semble malgré tout "beaucoup plus simple de lever les freins" actuels que de "créer un nouveau système".
Emmanuelle Barbara, du cabinet d'avocats August Debouzy, rappelle ainsi qu'une précédente tentative de prime adossée sur les dividendes, instaurée en 2011 par l'ex-président Nicolas Sarkozy, était devenue "une usine à gaz" au champ d'application très limité. Elle avait fait long feu.
Même si la France est l'un des pays européens les plus volontaristes dans ce domaine, la refonte des dispositifs existants se révèle ardue.
Les discussions, censées aboutir d'ici fin janvier, ont viré au casse-tête. "On est très loin d'un accord", souligne Luc Mathieu, secrétaire national de la CFDT, à l'AFP.
Côté syndical, on soutient l'idée d'une participation obligatoire dans les entreprises d'au moins 11 salariés. Une ligne rouge pour le patronat, opposé à toute nouvelle contrainte, souligne Stéphanie Pauzat, vice-présidente de la CPME, qui défend les intérêts des PME.
Une obligation risquerait aussi d'être contreproductive en suscitant de fausses attentes dans une conjoncture marquée par une envolée des coûts énergétiques et une croissance au ralenti - avec moins de résultats à distribuer, estime Emmanuelle Barbara.