Le rythme de l’activité dans la filière construction semble désormais assujetti à la disponibilité des inputs et surtout à leur prix. Attisée par un contexte géopolitique tendu, la flambée des coûts de l’énergie et des céréales se diffuse au reste des biens et services, bousculant les équilibres financiers du côté de l’offre (entreprises) comme du côté de la demande (ménages et collectivités). Dans le BTP, l’équation qui consiste à assurer la réalisation des chantiers avec des process productifs sous tension et de plus en plus coûteux reste difficile à résoudre tandis que, côté TP, les carnets qui peinaient déjà à se regarnir depuis la crise sanitaire paient le prix d’un sursaut d’attentisme de la part des collectivités.
Accentuation du recul des productions en avril
Après un premier repli en mars, l’activité dans le secteur des matériaux de construction a de nouveau baissé en avril, selon les résultats encore provisoires de notre enquête mensuelle. Ainsi, côté granulats, la production affiche une contraction de -8,8% entre mars et avril, laissant les volumes -8,5% en dessous de ceux d’avril 2021 (données CVS-CJO). Au cours des trois derniers mois, l’activité se stabilise quasiment à son niveau des trois mois précédents (+0,4%) mais fléchit au regard de la même période de février à avril 2021 (-1,1%). En cumul sur les quatre premiers mois de l’année 2022, la production de granulats baisse de -0,9% sur un an, tandis qu’elle revient presque à son niveau d’un an plus tôt s’agissant du cumul sur douze mois (-0,4%).
Si ce repli trouve sans doute son origine dans le fléchissement de l’activité constructive lié aux difficultés d’offre et d’approvisionnement des chantiers, il doit aussi être nuancé : le mois d’avril 2021 avait été particulièrement dynamique et, comparé à un mois d’avril moyen (calculé sur ces dix dernières années), le recul apparaît trois fois moins marqué. S’agissant du BPE, la tendance est comparable. Entre mars et avril, les livraisons se sont contractées de -7,2% (données CVS-CJO) et chutent de -10,1% au regard d’avril 2021 qui, lui aussi, avait été particulièrement vigoureux pour le BPE puisque +10% au-dessus d’un mois d’avril « normal ».
Au cours des trois derniers mois, l’activité du béton cède -1,6% par rapport aux trois mois précédents et -2,6% comparé à la même période de l’an passé. En cumul sur les quatre premiers mois de 2022, la production de BPE se contracte de -1,8% sur un an et de -1,9% en cumul sur les douze derniers mois.
Notre indicateur matériaux indique lui aussi un nouveau fléchissement en avril, plus appuyé que celui de mars (-8,7% après -2,9% en données CJO et provisoires). Tous les matériaux sont concernés par ce repli, ce qui laisse désormais la tendance des quatre premiers mois de l’année sur une pente négative de -1,9% en glissement annuel.
Bâtiment : un appareil productif toujours sous tensions
En mai 2022, le climat des affaires se serait légèrement détérioré dans l’industrie du bâtiment selon la dernière enquête menée par l’INSEE. En effet, les professionnels se sont montrés moins positifs sur leur activité passée mais affichent plus d’optimisme que le mois précédent pour leur activité future. En dépit d’un léger repli, l’indicateur de climat des affaires se situe donc encore à un haut niveau. D’ailleurs, dans le gros oeuvre, le jugement des professionnels sur leurs carnets de commandes se redresse un peu, de même que le volume de ces carnets qui rejoint sa moyenne du second semestre 2021 à 9,9 mois. La demande reste donc vigoureuse, sans doute en partie alimentée par les difficultés de l’offre productive à y répondre dans les délais initialement convenus.
Les indicateurs disponibles montrent en effet que l’appareil de production demeure fortement bridé par les contraintes d’approvisionnement. En mai, encore plus d’un entrepreneur sur deux (soit 57%, contre un sur trois en moyenne de long terme) se déclare dans l’incapacité de produire plus en cas de commandes supplémentaires. Même si cette proportion tend à baisser depuis le point haut de janvier (61,7%), elle illustre bien les fortes tensions sur l’offre qui se couplent désormais de pressions sur les coûts. En témoigne la forte hausse des prix de vente prévus par les chefs d’entreprise ces prochains mois, solde qui enregistre un plus haut jamais atteint depuis fin 1979 début 1980.
Du côté de l’activité constructive, le secteur non résidentiel continue de se redresser avec une progression des locaux commencés de +19,6% sur un an au cours des trois mois de février à avril, ce qui laisse la tendance à +11,6% en cumul sur douze mois, certains segments se montrant très dynamiques (entrepôts et bâtiments industriels affichent respectivement +50,8% et +46,3% sur les trois derniers mois). Ces hausses ne permettent cependant pas de renouer avec le niveau des mises en chantier atteint avant la crise sanitaire.
Côté logement, en revanche, ce niveau a été dépassé depuis plusieurs mois. A fin avril et sur douze mois, 392 600 logements étaient commencés (+4,1% sur un an), une tendance toutefois ralentie sur les trois derniers mois, sans doute en raison des difficultés d’approvisionnement (-1,4% sur un an). La dynamique des dépôts de permis, quant à elle, ne se dément pas : à fin avril, en cumul sur douze mois, on enregistrait 500 400 autorisations, soit +20,7% sur un an, un rythme encore plus soutenu sur les trois derniers mois (+24,4% sur un an), que ce soit dans le segment de l’individuel (+21,4%) ou du collectif (+25,6%). L’entrée en vigueur des nouvelles normes et réglementations, les perspectives de hausses de coûts et de taux d’intérêt expliquent sans doute ce rebond qui va continuer d’alimenter l’activité constructive de ces prochains mois mais aussi les tensions. Dans le même temps, le marché de l’immobilier neuf décroche : au premier trimestre, les ventes ont chuté de -8,5% sur un an, le contexte économique, politique et bancaire freinant probablement les velléités d’investissement des ménages. Le niveau des prix de vente moyens continue de grimper (+3,7% sur un an pour le m² d’appartement et +7,1% pour une maison), une tendance appelée à se poursuivre avec l’inflation des coûts de construction et la rareté de l’offre des promoteurs (mises en ventes en repli de -8,8% sur un an au premier trimestre).
TP : attentisme et inflation des coûts
Tout comme pour les matériaux, le recul d’activité en mars dans les travaux publics s’est confirmé en avril, le volume des travaux réalisés accusant une baisse de -18,3% (CVS-CJO) par rapport à avril 2021, un mois également très dynamique dans ce secteur. Certes, depuis janvier, le chiffre d’affaires enregistre une légère progression (+0,7%), mais compte tenu de la hausse des coûts de production, mesurée par l’index TP01 de l’INSEE, l’activité en volume ressort sur une tendance négative (-7,7%). Et l’atonie des prises de commandes ne suggère pas d’amélioration à court terme. Sur les trois derniers mois, les marchés conclus ont perdu -9%, laissant le cumul depuis janvier 2022 sur un recul de -7,4% en glissement annuel selon la FNTP. Le réveil des projets des collectivités locales, espéré avec le retour de la phase favorable du cycle électoral, se fait toujours attendre…