Le marché immobilier, traditionnellement premier secteur de l’économie « réelle » à être affecté par les politiques de resserrement monétaire, subit non seulement les affres de la remontée des taux mais aussi l’effet de ciseau d’une hausse des coûts de la construction neuve conjuguée à un durcissement des conditions d’octroi de crédit aux ménages (critères du HCSF). Le retournement conjoncturel de la construction neuve, qui s’est amorcé en 2022, s’installe donc dans la durée entraînant dans son sillage les activités situées en amont, parmi lesquelles celles des matériaux. Moins directement impacté par la remontée des taux, le secteur des travaux publics pâtit néanmoins lui aussi de la hausse des coûts et d’une atonie de la commande publique même si, du côté de la demande privée, les carnets de commandes se regarnissent. Dans ce contexte contrasté, le rythme d’activité des granulats et du BPE a continué de ralentir au premier trimestre.
Un décrochage de l'activité des granulats
Les premiers résultats disponibles pour le mois de mars suggèrent le maintien d’une activité très ralentie dans le secteur des matériaux. La production de granulats perd ainsi -0,7% au regard du mois de février laissant le niveau -10,9% en dessous de celui de mars 2022 (données CVS-CJO). Au premier trimestre, l’activité granulat décroche donc de -3,5% par rapport au trimestre précédent, inscrivant les volumes en retrait de -11,8% comparé au premier trimestre de 2022. Calculé en glissement sur douze mois, le repli de l’activité revient désormais à -7,5%. Du côté du BPE, les livraisons ont perdu -3,8% en mars par rapport à février et les cubages s’inscrivent en baisse de -8,2% comparé à mars 2022. Au premier trimestre 2023, l’activité béton reste cependant proche de celle du quatrième trimestre 2022, voire légèrement supérieure (+0,7%) mais elle apparaît en net retrait au regard de celle du premier trimestre 2022 (-6,8%). En cumul sur douze mois glissants, la production de BPE affiche maintenant un recul de -5,5%. En granulats comme en béton, le début de l’année 2023 se caractérise donc par une grande atonie de l’activité, encore amplifiée si on la compare au début 2022 qui avait été bien meilleur que le reste de l’année.
L’indicateur matériaux, encore provisoire pour le mois de mars, traduit lui aussi une activité très morose en ce début 2023 : en repli de -9,5% en glissement annuel sur le mois, l’indicateur se replierait de -9,8% au premier trimestre comparé à la même période d’il y a un an (données CJO).
Bâtiment : la descente est engagée
Selon l’enquête menée par l’INSEE auprès des professionnels du bâtiment au mois d’avril, le climat des affaires est stable et demeure encore bien au-dessus de sa moyenne de longue période, signe que l’activité reste pour le moment assez soutenue dans le secteur. Pour autant, les autres indicateurs fléchissent graduellement, confirmant un effritement continu des fondamentaux. A commencer par les perspectives d’activité qui se détériorent assez sensiblement depuis le début de l’année, notamment du côté du gros œuvre et du logement neuf dont le solde est désormais repassé sous son niveau moyen de long terme.
Dans le même temps, le jugement porté par les entrepreneurs sur leurs carnets de commandes dans le gros œuvre a dérapé en avril ; même si ces derniers permettent encore d’assurer 9,2 mois de travaux, ce décrochage suggère que les nouvelles commandes se font rares. L’enquête mensuelle de la Banque de France menée auprès des entreprises du gros œuvre le confirme d’ailleurs avec le plongeon des carnets dont le solde de la situation observée est négatif en avril, pour le troisième mois consécutif. Dans ce contexte, les tensions sur l’appareil productif et les approvisionnements refluent progressivement et le solde d’opinion sur les prix prévus dans le bâtiment continue de se modérer même s’il reste bien au-dessus de sa moyenne de longue période. En parallèle, l’activité constructive continue de décliner. Les mises en chantier de logements ont reculé de -6,8% au premier trimestre comparé au trimestre précédent (données CVS-CJO) et de -12,8% sur un an. En cumul glissant sur douze mois, à fin mars, le nombre de logements commencés décline de -8,3% à 359.200 unités (dont -9,7 % dans le collectif avec 170.800 unités). La situation n’est guère meilleure dans le non résidentiel où les surfaces de locaux commencées ont baissé de -12,6% sur un an au premier trimestre laissant le cumul sur douze mois en repli de -2,9% à 25,474 millions de m2. Pourtant, les permis restent plutôt bien orientés : quasi-stables au premier trimestre (+0,3% sur un an), ils affichent une progression de +3,4% sur les douze derniers mois pour une surface totale de 40,11 millions de m2 autorisés, certains segments comme les bureaux ou le commerce se montrant très dynamiques (+16,4% et +11,7% respectivement). Une tendance loin d’être partagée par le logement dont les autorisations continuent de s’enfoncer.
Au premier trimestre, les permis plongeaient de -31% sur un an dont -42,6% pour les seuls logements individuels. En cumul sur douze mois à fin mars, le nombre de logements autorisés se contracte ainsi de -11,5% à 441.400 unités (dont 225.400 dans le collectif), une tendance appelée à se creuser encore avec le décrochage plus récent du collectif. Côté individuel, les derniers chiffres des CMistes publiés par Markemétron et disponibles pour le mois de mars confirment une conjoncture déprimée en dépit du rebond saisonnier des ventes mais qui reste très en deçà de ce qui est constaté en moyenne en cette période de l’année. En mars, le marché continue de dévisser avec des ventes en retrait de -43,9% par rapport à leur moyenne de long terme ce qui laisse un premier trimestre en chute de -30,5% en glissement annuel et inférieur de -41,2% au niveau moyen de long terme. Il est vrai que l’environnement macroéconomique est particulièrement défavorable à l’investissement logement. Au-delà du ralentissement conjoncturel lié à la flambée inflationniste consécutive au conflit ukrainien, les facteurs qui pèsent sur le marché résidentiel s’accumulent depuis plusieurs trimestres : rareté et cherté du foncier, gonflement des règles et normes constructives, limitation des projets constructifs par les collectivités locales, réorientation progressive de la politique du logement vers l’immobilier existant (dans le cadre des enjeux de la transition énergétique) et hausse des coûts des matériaux.
A ce contexte peu porteur qui conduit à restreindre l’offre immobilière et renchérir le coût des projets, se sont greffés un durcissement des conditions d’octroi du crédit (mise en place des critères HCSF début 2022) et un relèvement rapide des taux d’intérêt malgré des taux réels toujours négatifs. L’accumulation de ces contraintes conduit à plomber le moral des ménages et écarter du marché une grande partie des accédants à la propriété, les obligeant à réduire ou reporter leurs projets.
La dernière enquête menée fin avril par l’INSEE auprès des promoteurs confirme ce diagnostic, l’opinion de ces derniers sur la demande de logements et leurs perspectives de mises en chantier continuant de s’enfoncer pour se situer désormais largement en dessous de sa moyenne de longue période.
TP : perspectives stables
Selon l’enquête menée en avril par la Fédération Nationale des Travaux Publics, le volume d’activité du secteur serait proche de celui de l’an passé au cours du premier trimestre (+1,1%). Cette tendance, en net décalage avec celle des granulats, s’explique sans doute par la nature des chantiers actuels, caractérisée par le moindre poids des travaux routiers et de terrassements au profit des ouvrages de réseaux moins consommateurs de matériaux.
Grâce à quelques opérations d’envergure, les carnets de commandes retrouvent une certaine dynamique (+22,4% en volume sur un an au premier trimestre) mais le rebond de la commande publique et de l’investissement des collectivités se fait toujours attendre. Les perspectives pour les prochains mois évoluent peu, restant autour de la moyenne de long terme, le principal obstacle à l’activité du secteur portant sur la main-d’œuvre (pour 41% des entreprises) avant le manque de demande (36%).