Acte II de la "rénovation du modèle social" voulue par le gouvernement, le projet de loi porté par Muriel Pénicaud se veut celui de l'"émancipation".
Parmi ses mesures phares: une extension de l'allocation-chômage, sous conditions, à certains démissionnaires, une mue du compte personnel de formation (CPF) créé sous le quinquennat Hollande, de nouvelles règles pour briser le "plafond de verre" des quelque 400.000 jeunes apprentis.
Après cinq jours et nuits de débats, le texte a été adopté par 349 voix contre 171 et 41 abstentions avec le soutien de la majorité LREM-MoDem.
LR, "inquiet" notamment d'une "baisse des droits des salariés" en matière de formation, a voté contre. Son chef de file, Christian Jacob, a dénoncé devant la presse des "régions exclues" en matière d'apprentissage ou une "étatisation de l'assurance chômage" avec ce projet "fourre-tout".
Jugeant aussi que "l'équilibre régions-branches n'est pas atteint", le groupe UDI-Agir s'est néanmoins majoritairement abstenu, dans l'espoir que le texte soit amélioré prochainement au Sénat, selon son co-président Franck Riester.
Les trois groupes de gauche, socialistes, insoumis et communistes, ont également voté contre une "mauvaise loi" (Pierre Dharréville, PCF) qui porte une "flexibilité à outrance" (Adrien Quatennens, LFI) et "ne libère pas les individus, (mais) libère les marchés" (Gisèle Biémouret, Nouvelle Gauche).
"Depuis le début du quinquennat, le gouvernement dit qu'il va d'abord y avoir la flexibilité puis la sécurité. Nous en sommes toujours sur le volet flexibilité, nous n'avons pas vu de droits nouveaux", a dénoncé Valérie Rabault (PS).
A l'inverse, un élu de la jeune garde macroniste estime que de telles réformes "prouvent que le débat jambe gauche / jambe droite est un peu artificiel".
Ex-DRH de grands groupes, la ministre du Travail a défendu pour sa part un projet "ambitieux" contre la "résignation". Mais la technicité du texte a limité son écho, même si des "marcheurs" jugent que Muriel Pénicaud "incarne quelque chose et est pédagogue". Pour expliquer "ce qui change", elle devait tenir avec le Premier Ministre Edouard Philippe un Facebook live dans la soirée.
"Poudre de perlimpinpin"
"Muriel, c'est sa dernière réforme", "elle y attache du prix", glissait il y a quelques mois un pilier de la macronie, alors que l'acte III de la réforme des retraites en 2019 sera dans le giron de la ministre de la Santé Agnès Buzyn.
Sur l'assurance chômage, le projet vise selon le gouvernement à créer de nouveaux "filets de sécurité".
Mais l'élargissement de la couverture à certains démissionnaires, qui concernera 20 à 30.000 bénéficiaires, selon Muriel Pénicaud, est décrié à gauche comme très en deçà d'une promesse "piétinée" du candidat Macron et de la "poudre de perlimpinpin".
La réforme de la formation professionnelle, avec un CPF alimenté en euros à partir de 2019 (500 euros par an; 800 pour les moins qualifiés) a aussi divisé les députés, les oppositions fustigeant un compte "réduit" et une "logique d'individualisation".
Quant à l'apprentissage, il est mis "en danger" selon la gauche par la réforme, le rôle amoindri des régions au profit des branches étant aussi jugé "absurde" par LR.
Sur ce volet, un amendement LR exonérant l'ensemble des entreprises de cotisations sur l'emploi des apprentis a dans un premier temps été adopté. Une "erreur en séance", selon le ministère, dans la précipitation du dernier jour d'examen, corrigée via une seconde délibération. Signe supplémentaire pour Christian Jacob (LR) de l'"impréparation totale" du gouvernement, qui a déposé quelque "60 amendements" en séance.
"Nous préférons un rythme intense de réformes à des réformes annoncées qui ne voient jamais le jour", a plaidé, en citant Jacques Chaban-Delmas, la rapporteure Catherine Fabre (LREM).
Chômage, formation, apprentissage: principales mesures du projet de loi
Voici les principales dispositions du projet de loi "avenir professionnel", adopté mardi par l'Assemblée nationale en première lecture:
Assurance chômage
- Démissionnaires: indemnisation, sous conditions, s'ils ont démissionné avec un projet de reconversion ou de création ou reprise d'entreprise. Il faudra en principe avoir travaillé cinq ans.
- Indépendants: allocation forfaitaire (800 euros par mois pendant six mois) en cas de liquidation judiciaire et de départ dans le cadre d'un redressement judiciaire
- Précarité: les branches doivent négocier des mécanismes anti-contrats courts avant le 1er janvier 2019. Le gouvernement se donne la possibilité d'instaurer par décret un bonus-malus sur les cotisations patronales, avec un taux "minoré ou majoré" selon le "nombre de fins de contrat" donnant lieu à une inscription à Pôle emploi. Le bonus-malus pourra tenir compte du "secteur d'activité de l'entreprise"
- Indemnisation: règles négociées par les partenaires sociaux en respectant un "document de cadrage" gouvernemental fixant notamment une "trajectoire financière" et un "délai" de négociation
- Financement: suppression des cotisations salariales, compensées par des recettes fiscales. Les cotisations patronales subsistent.
- Pendant 18 mois, à partir de juin 2019, à titre expérimental dans certaines régions, les demandeurs d'emploi devront, pour rester à Pôle emploi, renseigner chaque mois "l'état d'avancement de leur recherche d'emploi"
- L'offre raisonnable d'emploi, qu'un chômeur ne peut refuser qu'une fois, sera définie en concertation entre le demandeur d'emploi et son conseiller
Formation professionnelle
- Compte personnel de formation (CPF) alimenté non plus en heures mais en euros, dans des conditions fixées par décret. Le gouvernement a annoncé 500 euros par an (800 pour les salariés non qualifiés), dans la limite de 5.000 euros (8.000). Les salariés à mi-temps auront les mêmes droits que ceux à temps plein
- Élargissement de l'éventail de formations éligibles au CPF et création d'un "service dématérialisé gratuit" pour accéder aux "informations sur les formations éligibles", s'inscrire et payer les formations.
- Le CPF des travailleurs handicapés sera majoré (montant défini par décret).
- Reconversions: suppression du congé individuel de formation (CIF), remplacé par un dispositif similaire intégré au CPF.
- Mécanisme de certification des organismes de formation (critères de qualité définis par décret)
- Les opérateurs paritaires collecteurs agréés (Opca) rebaptisés "opérateurs de compétences", toujours gérés par les partenaires sociaux, ne collecteront plus les cotisations formation, rôle qui sera assuré par l'Urssaf (conditions à venir dans une ordonnance)
- "France compétences": création d'une agence gérée par l'État, les Régions et les partenaires sociaux, fusionnant trois instances actuelles (Copanef, Cnefop et FPSPP), notamment chargée de réguler la qualité et le coût des formations.
Apprentissage
- Limite d'âge portée de 25 ans à "29 ans révolus".
- Apprentis mineurs: temps de travail maximum porté de 35 à 40 heures par semaine, pour certaines activités. Possibilité de porter la durée de travail quotidienne à 10 heures, au lieu de 8 heures, dans certaines branches.
- Création d'une nouvelle classe de troisième "prépa-métiers" pour préparer l'orientation des collégiens, notamment vers l'apprentissage.
- Suppression du passage obligatoire aux prud'hommes pour licencier un apprenti pour faute grave ou inaptitude.
- Centres de formation d'apprentis: les CFA seront financés au contrat, c'est-à-dire selon le nombre d'apprentis qu'ils accueillent. Obligation pour CFA et lycées professionnels de rendre publics chaque année leurs taux d'obtention des diplômes et d'insertion.
- Création d'une aide unique, remplaçant trois aides et un crédit d'impôt, destinée aux entreprises de moins de 250 salariés employant des apprentis. Montant fixé par décret (6.000 euros la première année, 3.000 la seconde, selon la ministre).
Travail détaché
- Sanctions financières portées de 2.000 à 3.000 euros par salarié détaché illégalement, de 4.000 à 6.000 euros en cas de récidive.
- "Name and shame": publication quasi-systématique, pendant un an maximum, des condamnations pour travail illégal sur un site dédié
Handicap
- L'obligation d'emploi de salariés handicapés, fixée à 6% (qui reste un taux plancher), sera révisée tous les cinq ans selon la part de travailleurs handicapés dans la population active
Egalité salariale
- Obligation de résultats en matière d'égalité salariale entre les sexes dans les entreprises d'au moins 50 salariés, assortie de possibles pénalités financières (au terme d'une période de 3 ans pour se mettre en conformité).
Fonctionnaires
- Maintien des droits à l'avancement pendant cinq ans pour les fonctionnaires en disponibilité exerçant une activité dans le privé. Celle-ci pourra être prise en compte pour une promotion.
- Embauche possible de contractuels sur quelque 10.000 postes de haut-fonctionnaires.
CDD
- Expérimentation de la possibilité de remplacer plusieurs salariés absents par un seul CDD
Plateformes
- Possibilité, pour les plateformes comme Uber et Deliveroo, d'établir une "charte" définissant droits et obligations à l'égard des travailleurs, et réciproquement.