"Avant, on faisait un signalement au parquet de Bobigny tous les ans. Là, on est à un toutes les deux semaines", explique Thomas Salmon, coordinateur du Pôle développement urbain de Pierrefitte-sur-Seine, 30.000 habitants.
La municipalité socialiste, où deux ministres se sont rendus fin janvier pour marquer leur engagement contre les marchands de sommeil, concentre tous les visages du mal-logement qui pullule dans le département le plus pauvre de France : immeubles en ruines dans le centre-ville, copropriétés des années 1970 dégradées, pavillons divisés en appartements dortoirs, garages et cabanons de jardins transformés en logements...
Munis d'un appareil photo et des lampes torches de leur téléphone, trois inspecteurs hygiène fraîchement formés traquent les pavillons aux trop nombreuses boîtes aux lettres, les immeubles où s'amoncellent les poubelles.
Ce vendredi de fin février, ils pénètrent dans un local commercial du centre-ville aux allures de village fantôme. Dans ce lieu sans fenêtres, des cloisons de parpaings inachevées, une installation électrique sommaire et des plafonds gonflés d'humidité. "Le propriétaire aurait pu loger 20 familles ici ! On va faire fermer le bâtiment", décide Thomas Salmon.
En Seine-Saint-Denis, plus de 28.000 logements sont "potentiellement indignes", soit 7,5% du parc privé, selon l'Institut d'aménagement et d'urbanisme (IAU) d'Ile-de-France. Un taux qui atteint 20% dans certaines communes comme Saint-Denis et Aubervilliers qui accueillent une importante population en situation irrégulière exclue du parc social, complètement engorgé.
Des policiers dédiés
En novembre, après l'effondrement de deux immeubles qui avait fait huit morts à Marseille, une centaine d'habitants de Rosny-sous-Bois ont dû quitter en 24 heures leur copropriété frappée par un arrêté municipal de "péril imminent".
Pourtant, un arrêté d'insalubrité avait été pris dès 2010, premier d'une longue liste de procédures. "C'est un échec emblématique. On doit s'améliorer dans le suivi des arrêtés, on est en train de le faire. Mais on est face à une volumétrie qui nous dépasse tous", admet Jean-Philippe Horréard, délégué territorial de l'Agence régionale de santé (ARS).
Depuis 2005, le nombre d'arrêtés pris chaque année par l'ARS a plus que triplé. Et le nombre de logements indignes a diminué de plus de 22% entre 2013 et 2015, insiste l'Agence.
"En Seine-Saint-Denis, on n'a pas découvert l'habitat indigne avec Marseille", note Julie Fraudeau, magistrate responsable du pôle habitat indigne au parquet de Bobigny, qui doit bientôt voir arriver un assistant spécialisé pour accélérer le traitement des nombreuses procédures.
Le département vient de se doter d'un "plan triennal de lutte contre l'habitat indigne" qui associe les nombreux acteurs concernés (préfecture, parquet, ARS, CAF ...) et reste l'un des rares collectivités à disposer d'un service de police dédié, l'ULII 93, qui compte quatre enquêteurs.
Des fiches de signalement en huit langues (bengali, tamoul, arabe, chinois, hindi...) ont été diffusées pour les locataires qui hésitent souvent à dénoncer leurs propriétaires de peur de se retrouver à la rue, voire d'être expulsés s'ils sont en situation irrégulière.
"Ce qui existe au niveau légal est satisfaisant", estime la magistrate, "mais les dossiers d'habitat indigne sont très longs à instruire car beaucoup d'acteurs doivent travailler ensemble et le contentieux est très technique".
En 2018, sur 400 signalements reçus à Bobigny, 14 dossiers ont fini devant un juge.
Début janvier, un ancien médecin a ainsi été condamné à trois ans de prison avec sursis et à une amende de 150.000 euros pour avoir logé une quarantaine de familles dans sa clinique.
Après la loi Elan, qui renforce depuis octobre les sanctions contre les marchands de sommeil, le Sénat doit se pencher en juin sur une proposition de loi contre "l'habitat insalubre".
Mais, pour l'Institut d'aménagement et d'urbanisme, seule une "vraie reconstitution de l'offre d'habitat très social" est à même de résoudre le problème. Sans cela, "les actions de lutte contre l'habitat indigne risquent de ne conduire qu'à un déplacement du problème".