"C'est un signal inquiétant: on n'aura plus de spécialiste", redoute auprès de l'AFP Grégory Monod, président élu des Constructeurs et aménageurs (LCA), la principale fédération du marché de la maison.
L'annonce remonte à juin 2018. BPCE, géant bancaire réunissant les Banques populaires et les Caisses d'épargne, mettait fin à l'existence en tant que telle de sa filiale Crédit Foncier, programmant la disparition d'un acteur présent depuis plus d'un siècle et demi.
La décision, dont la prise d'effet est prévue mi-février, n'a pas étonné les observateurs: le modèle spécialisé du Crédit Foncier apparaissait à rebours du marché alors que les crédits immobiliers sont devenus l'un des principaux produits d'appels des grandes banques tout en étant difficiles à rentabiliser vu le très bas niveau des taux.
Toutefois, sa fin inquiète en interne, ce qu'ont manifesté à plusieurs reprises ses syndicats, comme à l'extérieur chez les acteurs de l'immobilier, même si BPCE a toujours promis de conserver les équipes et les "expertises" du Crédit Foncier.
Ces préoccupations sont surtout sensibles chez les constructeurs de maisons, qui présentent ce jeudi des perspectives annuelles déjà assombries par un repli de la construction, dont ils tiennent responsable une réduction des aides à la propriété comme le prêt à taux zéro (PTZ).
Ils voient disparaître bien plus qu'un simple interlocuteur. Peu après l'annonce de BPCE, LCA avait estimé que ses adhérents réalisaient un cinquième de leurs transactions à l'aide du Crédit Foncier.
"Ca fait 40 ans que je suis dans ce métier", souligne auprès de l'AFP Pierre Jude, président du constructeur Maisons Pierre, centré sur l'Île-de-France. "Quand j'ai commencé, il y avait 10 ou 15 établissements spécialisés dans l'immobilier. Le Crédit Foncier était le dernier, ils ont tous disparu."
"Pas de déperdition"
Avec l'arrêt, quelques années plus tôt, des activités du Crédit immobilier de France, le marché n'est plus occupé que par de grandes banques généralistes.
Or, "une banque spécialisée et une banque classique ou traditionnelle, (elles) ont une stratégie, une politique de risque et un fonctionnement différent", tranche auprès de l'AFP Philippe Taboret, directeur général adjoint du courtier Cafpi. "Crédit Foncier vendait des taux plus chers avec un risque un peu plus élevé, BPCE n'intégrera jamais cette part de risque."
Car ce n'est pas tant un resserrement général du crédit immobilier, actuellement en plein essor, que craignent les acteurs du marché, mais la normalisation d'une offre qui bénéficiait largement à des ménages modestes achetant leur premier logement.
"Le Crédit Foncier arrivait par différents mécanismes à prêter de l'argent à des gens qui n'avaient quasiment pas d'apport personnel", souligne M. Jude, exprimant son scepticisme quant au maintien global de cette offre.
Pour lui, le fonctionnement décentralisé des Banques populaires et des Caisses d'Epargne, lié à leur structure mutualiste, ne permettra pas de maintenir une vision spécifique en matière de crédit immobilier.
"Au contraire, il n'y a pas de déperdition: le transfert va bénéficier du maillage territorial très fort", a répondu à l'AFP le Crédit foncier, précisant que ses équipes seraient pleinement intégrées d'ici le début avril aux autres établissements de BPCE.
De fait, certains constructeurs ont obtenu suffisamment de garanties de la part de l'établissement pour se montrer rassurés.
"Il y a une vraie volonté que le fil ne se casse pas", assure à l'AFP Alban Boyé, directeur général du groupe Trecobat, surtout actif sur la côte Atlantique.
Il cite un interlocuteur du Crédit Foncier, qui lui a expliqué que BPCE conserverait en l'état une enveloppe de deux milliards d'euros actuellement allouée par sa filiale pour garantir certains prêts au coeur de son offre. La banque n'a pas confirmé ce chiffre auprès de l'AFP, mais des sources du milieu immobilier ont évoqué un montant semblable.
C'est le signe d'"une volonté technique", juge M. Boyé: "Je n'aurais pas eu ce rendez-vous, j'aurais fait part de mon inquiétude, mais avec l'éclairage qu'ils m'ont donné, il n'y a pas à être si inquiet que ça", juge-t-il, soulignant néanmoins que l'activité majeure de son groupe n'est pas l'accession à la propriété.