Nous, acteurs du monde de la construction, sommes depuis longtemps engagés pour accompagner la transition du secteur vers une économie circulaire. C’est néanmoins avec stupeur, que nous avons découvert le rapport dit « Vernier » sur les REP[1]. Bien que n’ayant auditionné aucun acteur du secteur de la construction, et abordant très superficiellement les enjeux des déchets du secteur, il assène de manière déconnectée des réalités du terrain, le prétendu échec des initiatives en cours et conclut sans aucune justification chiffrée à la nécessité de créer une nouvelle REP sur les déchets du bâtiment.
De surcroit, nous avons appris, lors d’une récente réunion convoquée la veille pour le lendemain vendredi 30 mars, que cette piste de REP bâtiment était désormais la solution de référence étudiée par le gouvernement.
Tout d’abord nous tenons à rappeler que depuis de nombreuses années, les filières s’organisent et s’engagent afin de proposer des solutions de valorisation des déchets et réutilisation des produits issus des chantiers de construction, de rénovation et de démolition[2].
L’information des entrepreneurs sur les points de collecte existants pour chaque type de déchet est développée pour faciliter le dépôt des déchets dans des installations adéquates.[3]
Les distributeurs font des efforts considérables pour mettre en place le dispositif réglementaire de reprise. Considérer la mise en œuvre du décret « distributeurs »[4] comme un échec après seulement 13 mois, est incompréhensible. En effet cette mesure demande des efforts financiers importants et ne portera ses fruits qu’en multipliant les points de collecte de déchets.
Au-delà, il serait réducteur de n’aborder la problématique des déchets du bâtiment que sous l’angle des déchets diffus des artisans, en oubliant que l’essentiel des volumes des déchets du bâtiment provient directement de bennes sur chantier ou de déchetterie, ou directement des opérations de démolition. Le véritable enjeu est de détourner ces flux en mélange de l’enfouissement pour qu’ils soient collectés séparément pour être recyclés de manière optimale.
De nombreuses filières se sont déjà organisées pour cela, avec des résultats dès à présent encourageants. Si évidemment il convient d’amplifier les efforts pour renforcer significativement le recyclage, le taux de valorisation des déchets du BTP atteindrait près de 68% en 2017 (boucle fermée et boucle ouverte) pour un objectif fixé à 70% en 2020[5]. On ne peut donc raisonnablement pas parler d’échec. Toutes ces initiatives démontrent que les acteurs de la filière ont pleinement conscience de leur responsabilité et l’exercent (15 des 24 flux de déchets identifiés dans le pilote du projet Démoclès avaient déjà une filière de recyclage existante en 2012[6]).
Les propositions au cœur du rapport Vernier (ci-après intitulées « REP bâtiment »), qui visent à mettre en place une éco-contribution pour les producteurs de matériaux afin de financer une filière de reprise gratuite des déchets des artisans, nous semblent par contre inefficaces, voire représentant des risques avérés pour le secteur.
- La faisabilité technique d’une REP bâtiment n’a jamais été réellement étudiée, hormis lors du Grenelle de l’environnement, où elle avait été vite écartée du fait de sa complexité et de l’incertitude sur son efficacité. Contrairement aux engagements de l’Etat, aucune étude d’impact n’a été menée avant de proposer cette nouvelle REP.
- Contrairement aux déchets de produits concernés aujourd’hui par une filière REP (emballage, DEEE, mobilier …), les différents produits mis en œuvre dans la construction sont assemblés de manière diverse et parfois irréversible (enduit sur cloisons…). Les modes constructifs et la qualité de la déconstruction permettront ou non de les séparer facilement en filières de valorisation, rendant complexe la détermination des responsabilités et contributions de chaque filière.
- Les expériences précédentes de REP montrent que la mise en œuvre nécessite au moins 2 ans de travail pour être définie, et vu la complexité des multiples filières concernées et leur interaction, probablement au moins 5 ans pour la totalité des déchets du bâtiment.
Dès lors, l’Etat prend un risque important de démobiliser les filières déjà organisées et mobilisées au travers des ECV[7] ou du décret « distributeurs »[8], et de geler l’ensemble des actions déjà réalisées et initiatives en cours.
Par ailleurs, les filières REP en place ont souvent montré leurs limites, avec pour certaines filières l’inadéquation des débouchés industriels comme pour le bois, ainsi que des coûts de gestion erratiques qui sont dans tous les cas bien supérieurs à ce que font déjà eux-mêmes les industriels qui ont lancé des filières de recyclage.
Au vu des filières REP existantes, il est probable que le coût de cette REP projetée représentera un montant significatif du chiffre d’affaire des sociétés concernées, alors que le secteur sort à peine de 9 années de crise sans précédent. Il pourrait de plus avoir un impact significat sur le coût de la construction.
Il est essentiel que l’Etat comprenne que les industriels assument depuis longtemps leur responsabilité, souhaitent récupérer ces produits et se sont organisés en conséquence via les filières de recyclage et via un développement de l’éco-conception des produits. Il s’agit donc ici de ne pas décourager leurs initiatives en leur imposant une nouvelle contribution financière opérationnellement déresponsabilisante mais plutôt de les aider à collecter et recycler plus de matières aujourd’hui enfouies.
Comme elles ont pu le faire de manière unanime lors de la réunion du 30 mars, des organisations professionnelles représentatives du secteur de la construction, réaffirment qu’elles s’opposent totalement et fermement à la création immédiate et sans concertation d’une REP bâtiment qui leur apparait, à ce stade, complexe, longue à mettre en place, coûteuse et contreproductive.
Nous affirmons à nouveau la volonté de nos organisations à contribuer par leurs propositions à enrichir la pré-feuille de route économie circulaire, au sein de laquelle nous soutenons des mesures qui nous paraissent tout à fait cruciales.
Aujourd’hui nous demandons donc instamment au gouvernement d’ouvrir un dialogue constructif avec les différents acteurs concernés afin d’identifier sans idée préconçue, les actions à mener pour aider les différentes filières à assumer pleinement leur responsabilité en développant volontairement des filières opérationnelles de recyclage de leurs produits et matériaux. Chaque filière, y compris les entreprises de construction et tous les distributeurs, pourront ainsi formaliser avec l’Etat leurs engagements au travers d’Engagements de Croissance Verte.