"La soutenabilité de la dette constitue plus que jamais un enjeu, sinon l'enjeu essentiel pour les finances publiques", a affirmé son nouveau premier président Pierre Moscovici, lors d'une conférence de presse pour présenter le rapport annuel de l'instance sur la situation et les perspectives des finances publiques.
Tandis que le gouvernement compte sur le rebond de la croissance l'an prochain pour réduire la dette et exclut toute hausse d'impôts, la Cour juge que "sans action de redressement, le déficit risque d'être durablement très élevé (...). La trajectoire de la dette ne serait alors pas maîtrisée".
Le gouvernement s'attend cette année à une récession historique de -11%, avec un gonflement de la dette publique à près de 121% du produit intérieur brut (PIB), avant un rebond de l'économie l'an prochain.
Mais pour la Cour, "il ne faut pas tout attendre" de la croissance, car même le scénario le plus optimiste d'une reprise rapide ne permettra pas à la France de retrouver son niveau d'endettement d'avant crise d'ici à 2030.
Et celui-ci, avoisinant les 100% du PIB était déjà jugé préoccupant avant la crise par la Cour, qui enfonce le clou dans ce rapport.
"La France n'a pas abordé cette crise avec des finances publiques restaurées", note-t-elle pointant une "fatigue budgétaire" récurrente des différents gouvernements qui ont peu réduit la dépense publique et le déficit.
Toutefois pour la Cour, l'effort "ne doit pas être trop brutal pour ne pas casser la reprise mais il doit être poursuivi avec constance pour obtenir des résultats tangibles".
"La Cour préconise le sérieux (...), la prévisibilité, en aucun cas l'austérité", a insisté Pierre Moscovici.
L'institution appelle ainsi le gouvernement à définir une trajectoire de désendettement dans la future loi de programmation des finances publiques "au plus tard" au printemps prochain. "Il n'y a pas besoin d'attendre", a estimé M. Moscovici.
Cela permettrait aussi à la France de montrer à Bruxelles sa bonne volonté, dans la perspective d'une levée de la dérogation aux règles budgétaires européennes.
Séparer la "dette Covid"
Cette trajectoire devra notamment prévoir un "examen en profondeur" des dépenses publiques, pour privilégier les dépenses d'investissement, notamment dans la transition écologique et la santé, en parallèle d'un "effort accru de maîtrise des autres dépenses", juge la Cour.
Par ailleurs, elle conditionne de nouvelles baisses d'impôts à des "hausses d'autres prélèvements ou de suppressions de niches" ou encore à "un effort encore accru de maîtrise de la dépense".
Le gouvernement prévoit de diminuer les impôts de production qui pèsent sur les entreprises dans le cadre de son plan de relance attendu à la rentrée.
Pour la Cour, les mesures de ce plan devront être "temporaires" et ciblées, sans financement par un surcroît d'endettement.
Les conditions de taux d'intérêt bas sont "favorables" à de telles décisions, plaide-t-elle, alors qu'il y a un risque sur la "soutenabilité" de la dette en cas de remontée des taux, ainsi que d'aggravation de l'écart avec les autres pays de la zone euro.
Dans cette hypothèse, "si elle n'avait pas entre-temps diminué son endettement public rapporté au PIB, la France se retrouverait dans une situation très difficile", avec le risque d'une envolée encore plus massive de sa dette et de difficultés pour la financer, alerte la Cour.
Lundi, le ministre de l'Economie Bruno Le Maire a annoncé que le gouvernement allait traiter à part la dette publique issue de la crise. Cette dette, "nous la rembourserons en la cantonnant et en la séparant des 100 points de dette initiale", a-t-il affirmé devant les députés.
A l'image de ce qu'il a fait pour la dette sociale, cantonnée dans la CADES (caisse d'amortissement de la dette sociale), avec un échéancier jusqu'à 2033, M. le Maire a ainsi évoqué la date de 2042 pour le remboursement de la dette Covid.
Le premier président de la Cour des comptes a refusé de commenter cette proposition que l'instance "n'(a) pas expertisée".