Une femme enceinte de huit mois qui se retrouve à la rue, un Niçois à qui la mesure vient d'être notifiée et qui se demande si les restrictions sanitaires vont lui permettre d'y échapper...
"Allô prévention expulsion, bonjour ?" A l'autre bout du fil, un assistant social appelle pour le compte d'une dame, en pleurs devant lui, dont le fils adolescent était tout seul dans son appartement lorsque l'huissier a débarqué avec la police pour les mettre dehors.
Peut-elle saisir un juge ? Où vont-ils dormir ces prochains jours, on ne lui a proposé aucun hébergement alternatif. Du lundi au vendredi, chaque après-midi, juristes et bénévoles de l'association se relaient pour conseiller des personnes qui, souvent, "connaissent mal leurs droits".
La ministre du Logement Emmanuelle Wargon a pourtant répété mi-octobre que la circulaire du 2 juillet continuait de s'appliquer: aucune expulsion avec le concours de la force publique ne peut avoir lieu sans solution d'hébergement ou de relogement.
"Globalement, cette mesure a permis de limiter fortement le nombre des expulsions, mais certaines préfectures ne l'appliquent pas, ou avec une interprétation restrictive", regrette Christophe Robert, le délégué général de la Fondation Abbé Pierre.
"Ils expulsent dans des délais parfois très rapides, sans proposer d'alternative, ou alors quelques nuitées à l'hôtel: ce n'est pas suffisant".
"Par la fenêtre"
Les hébergements d'urgence, notamment à l'hôtel, sont déjà complètement saturés, avec quelque 3.000 appels chaque soir au numéro 115 du Samu social, qui se voient rejetés.
La Fondation a déjà identifié 110 ménages expulsés et à la rue depuis cet été en France. Ce qui représente "sans doute une part infime" de la réalité, précise Christophe Robert.
Assia, 56 ans, veuve et handicapée depuis un accident vasculaire cérébral, a été expulsée le 9 octobre parce que son propriétaire, un particulier, veut revendre son appartement.
Cette ancienne coiffeuse a toujours payé le loyer de son studio de 23m2 à la limite de l'insalubrité, dit-elle, où "les fils électriques dépassent de partout". Mais avec moins de 600 euros d'allocations par mois, sans emploi, elle n'a quasiment aucune chance de retrouver un logement en région parisienne.
"Je n'étais pas là ce jour-là, le propriétaire a jeté toutes mes affaires par la fenêtre dans la cour, j'étais tellement choquée, j'ai passé une semaine à l'hôpital psychiatrique", raconte-t-elle, la voix étouffée par les sanglots.
Assia a beau être reconnue prioritaire au titre de la loi Dalo - le préfet de Seine-Saint-Denis avait six mois après le jugement d'expulsion prononcé en juin 2019 pour la reloger -, elle dort désormais par terre et la peur au ventre dans un hall d'immeuble à Aubervilliers. "N'importe qui peut passer par là, je ne dors plus, je suis fatiguée..."
Explosion des expulsions
Moussa, lui, suivait un master 2 de droit des affaires lorsqu'il est tombé sous le coup d'une procédure d'expulsion après avoir perdu le petit boulot qui lui permettait de financer ses études.
Il y a trois ans, il contracte une première dette de loyer, réussit à la rembourser, puis une deuxième d'environ 3.000 euros, l'équivalent de six mois de loyers à 479 euros. "Le bailleur - un gestionnaire du parc social - ne m'a plus lâché, ils ont continué les poursuites", raconte le jeune homme.
L'autorisation d'expulsion de la préfecture tombe en novembre 2019, mais un juge lui accorde un sursis jusqu'en juillet suivant pour lui permettre de régulariser sa situation.
Entre temps, l'étudiant continue de payer ses loyers sans toutefois parvenir à rembourser sa dette. Durant le confinement provoqué par la crise sanitaire, il demande à bénéficier du fonds solidarité logement, et propose des arrangements au bailleur. En vain, il n'aura pas de réponse.
"Dès le mois de mars, l'huissier a commencé à me harceler pour que je rende les clés", poursuit Moussa, qui squatte aujourd'hui le canapé d'une amie, en attendant de trouver mieux. "J'ai trouvé un travail (de juriste, ndlr) en juin, mais le 11 septembre, ils sont venus changer les serrures. Ils m'ont donné deux heures pour prendre mes affaires".
Alors que les impayés de loyer représentaient déjà 95% des expulsions forcées avant la crise sanitaire, les associations craignent une hausse inédite du phénomène avec les pertes d'emplois générées par la crise sanitaire.
"Si on ne réagit pas maintenant pour trouver des alternatives, on va forcément vers une explosion des expulsions dans les prochains mois", met en garde Christophe Robert.