Durant l'été 2022 et au printemps 2023, RTE qui gère le réseau électrique à haute tension, a mené une enquête hors norme avec l'institut IPSOS auprès de 13.000 personnes dans la première vague et 11.000 dans la deuxième.
Le but était de recueilir l'opinion actuelle des Français sur les enjeux de la transition énergétique, d'établir des "trajectoires" de consommation et surtout de production d'électricité pour les années à venir.
Traditionnellement, les rapports de RTE servent de base à l'élaboration des politiques publiques sur l'énergie. Celui qui est publié mercredi sera actualisé en septembre, et alimentera la prochaine loi de programmation énergie-climat envisagée par le gouvernement à l'automne.
Premier résultat encourageant de l'étude: les Français ont une "conscience élevée" de la réalité du changement climatique et de son origine humaine, indique Xavier Piechaczyk, président de RTE. Ils se disent même "majoritairement" prêts à "faire des efforts" de principe pour s'adapter.
Mais, s'ils jugent très majoritairement que des changements de mode de vie sont nécessaires, l'étude révèle un "manque de connaissance" des ordres de grandeur et des actions ayant le plus d'impact, et surtout montre les "freins" sociétaux et financiers à une possible évolution radicale de l'habitat et des modes de déplacement.
"Certains changements des modèles de vie, envisagés comme des leviers pour atteindre la neutralité carbone -comme la densification de l'habitat ou l'abandon de la voiture individuelle- sont, à ce jour, en net écart, avec les aspirations ou les désirs des Français et se heurtent à des freins culturels ou organisationnels importants", note RTE.
Signe jugé positif, certains réflexes d'économies (baisser le chauffage la nuit..) acquis durant l'hiver 2022-2023 "sont de nature à se reproduire dans le temps, voire à s'accentuer" selon l'étude.
Le pavillon, la voiture, modèle de société
Mais, si 37% des personnes interrogées remplaceraient immédiatement leur voiture actuelle par une électrique ou hybride si leur véhicule tombait en panne aujourd'hui, 75% estiment impossible de remplacer leur voiture actuelle par une plus petite, moins énergivore.
Dans l'habitat, 48% des personnes interrogées envisagent des travaux d'isolation dans trois à cinq ans, mais 94% citent des freins économiques et 20% ne savent pas quelle solution technique adopter. Par ailleurs, moins de 30% imaginent vivre un jour dans un logement plus petit, et pas plus de 40% en colocation.
"L'attachement à la maison individuelle et à la voiture n'a pas été une surprise, car on l'étudie depuis longtemps, mais ce qui est frappant c'est le côté massif des chiffres" analyse Brice Teinturier, directeur général d'Ipsos.
"Malgré les problèmes financiers qu'ils évoquent, 88% des Français disent qu'ils remplaceraient leur voiture si elle tombait en panne, dont deux-tiers immédiatement", ajoute-t-il.
"Les Français dans leur très large majorité veulent vivre dans des zones moins denses, des maisons individuelles en zone pavillonnaire, et sont attachés à leur voiture", résume M. Piechaczyk: "C'est constitutif d'un modèle de société et il faut l'intégrer dans les prévisions" ajoute-t-il.
"Il est extrêmement difficile et potentiellement dangereux de vouloir imposer des modèles" de sobriété radicale "quand on est face à des désirs aussi profonds", ajoute M. Teinturier.
L'enquête montre aussi des effets inattendus: ainsi le télétravail vanté par certains pour faire baisser les émissions de CO2 ne serait peut-être pas aussi efficace que cela.
"Nous avons des doutes sur le fait que le télétravail soit un facteur de baisse des émissions, car les 44% de Français qui peuvent télétravailler cherchent aussi souvent à déménager et à s'éloigner dans des zones peu denses, augmentant ainsi l'effet rebond de la consommation, souligne M. Piechaczyk.
Sondage réalisé en deux vagues du 18 juillet au 1er août 2022, et du 19 avril au 2 mai 2023, auprès de respectivement 13.086 et 11.025 personnes âgées de 18 ans et plus, interrogées par internet selon la méthode des quotas, avec une marge d'erreur de 0,9 point pour une réponse à 50%, par exemple.