Le rendez-vous est fixé à 20H00 devant l'Université Paris 13 à Bobigny pour ce "toxic tour" organisé par quatre membres du collectif Saccage 2024.
Ce soir d'août, une cinquantaine de curieux ont bravé la fournaise pour avaler à vélo 20 km de bitume.
Première étape: le futur Village des médias, au sein du parc Georges-Valbon à Dugny, qui se convertira en écoquartier de 1.400 logements après les Jeux (26 juillet-11 août 2024).
"Partout où vous voyez des bâtiments, c'était le parc", indique l'un des guides, pointant le chantier qui touche presque à sa fin.
Téléphone en main, Eva, immortalise chaque recoin.
"Ce tour me permet de voir, d'éprouver, de situer dans le paysage géographique et social les sites olympiques", explique l'étudiante de 20 ans. "Voir le parc amputé, c'est choquant, cela crée une dystopie. La machine avance et les JO vont se faire quoi qu'il arrive", dit d'un ton dépité Eva (refusant de livrer son nom comme tous les participants), avant d'enfourcher son vélo.
Prochain stop : le Centre aquatique olympique à Saint-Denis.
"C'est une entreprise privée qui va être en charge de la piscine (après les JO). Elle va fixer les prix. Les scolaires devront louer les lignes", s'époumone Arthur, distillant ses informations dans un capharnaüm routier, sous l'oreille attentive d'une escorte policière qui suit le cortège depuis son départ.
"Les organisateurs (des JO, ndlr) disent que cette piscine va permettre aux jeunes de la Seine-Saint-Denis d'apprendre à nager mais si c'était vraiment un objectif, des petites piscines fleuriraient alors un peu partout dans les villes", estime Arthur, membre du collectif Saccage 2024, qui se définit comme "une résistance face aux saccages écologiques et sociaux que provoquent les JO de Paris-2024".
De l'héritage des Jeux, trois bassins sont promis à la Seine-Saint-Denis (Sevran, Pierrefitte-sur-Seine et Bagnolet).
"Caméras, béton, aberration"
A l'évocation des JO, le premier mot qui vient à l'esprit de Pierre, professeur de physique-chime dans un lycée à Saint-Denis, c'est "fric" : "de l'argent public qui va bénéficier au secteur privé", dit-il.
Pour autant, il n'est pas "contre l'évènement". "Nous avons un projet éducatif autour du mouvement physique des sportifs avec la participation d'un escrimeur", confie l'enseignant.
Le "toxic tour" organisé chaque mois, à tour de rôle, par différents collectifs veut "montrer l'envers du décor des JO". "C'est toujours plus marquant de voir en vrai les lieux impactés que d'en parler", assure Nora, bénévole chez Saccage 2024. "A chaque JO, on promet de l'emploi, des constructions en faveur des habitants et à chaque fois, ça a été des destructions et l'hyper-sécurisation des villes", assure la militante.
Longtemps inaudible, le discours des contestataires commencent à trouver un public.
"Les gens se rendent compte que même si les JO seront à côté de chez eux, ils ne pourront pas y aller car les places sont très chères", selon Nora pour qui "le mouvement social des retraites a été un coup d'accélérateur avec le hashtag #PasDeRetraitPasDeJO".
"Plus l'échéance se rapproche, et plus le ménage s'intensifie: moins de place dans les hôtels sociaux, les Crous (centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires) réquisitionnés, l'expulsion d'un squat à Aubervilliers", énumère la bénévole.
En Seine-Saint-Denis, "se préparent la destruction de parc et jardins, d'absurde projets immobiliers, une gentrification, des expulsions", dénonce Saccage 2024, qui s'associe aux groupes Extinction Rebellion et Dernière Rénovation.
L'excursion de trois heures s'achève dans le quartier Pleyel à Saint-Denis, près d'un groupe scolaire comptant près de 700 élèves.
Des bretelles d'entrée et sortie se trouvent juste à côté. Un échangeur autoroutier, sur le point d'être achevé, permettra l'accès à l'A1 et l'A86. Il doit fluidifier l'accès au village olympique situé à cheval entre Saint-Ouen, Saint-Denis et l'Ile-Saint-Denis.
Un de ses opposants, Hamid Ouidir, parent d'élèves à la FCPE 93, venu à la rencontre des cyclistes, assure que "l'échangeur va asphyxier les enfants".
Sarah, 28 ans, gérante d'un atelier vélos, repartira convaincue: pour elle, JO riment avec "caméra de surveillance, béton et aberration".