D’après son rapport, la FIFA estime que le bilan carbone total de la Coupe du monde au Qatar s'élèvera à 3,6 M de tonnes équivalent CO2. C’est peu ou prou ce que produit un pays comme l’Islande sur une année complète. C’est aussi le bilan carbone des JO de Rio en 2016. Pour Greenly, spécialiste du bilan carbone, ce chiffre est cependant largement sous-estimé.
Le bilan carbone sous-estimé des infrastructures
Au total, huit enceintes ont été prévues pour la Coupe du monde, dont une seule existait auparavant : le Khalifa International Stadium, construit en 1976 - seul stade non climatisé de la compétition. Une autre infrastructure, elle, sera entièrement démontée à l'issue de la compétition. La construction des 6 nouveaux stades permanents aurait ainsi généré une empreinte carbone 8 fois supérieure aux annonces de la FIFA, selon Carbon Market Watch. Au total, 1,6 millions de tonnes de CO2e contre les 200.000 établis en partant du principe que les stades seraient exploités sur 60 ans de compétitions sportives. Même si le système de climatisation mis en place s’avère 40% moins énergivore - car alimenté via l’énergie solaire - ces stades à ciel ouvert ne pourront par ailleurs être refroidis qu'au prix d'une dépense énergétique considérable (difficilement chiffrable, elle aussi). En tout état de cause, le système de climatisation a sauté dès le jour du match test, le 9 septembre dernier.
En outre, pour accompagner cet essor, de multiples chantiers périphériques, tels que des axes routiers, de nouveaux hôtels (dont plusieurs de luxe), des complexes commerciaux et des parcs d’attraction ont vu le jour. S’il est difficile de quantifier l’empreinte carbone de ces chantiers et de la dépense énergétique liée à leur exploitation en l'absence de données précises, on sait en revanche que le secteur de la construction est l'un des plus polluants. En 2014, il pesait à lui seul 6% de l'empreinte carbone mondiale.
Le poids carboné du transport et de l’hébergement
D'après les calculs réalisés par Greenly, le transport aérien des 1,2 millions de supporters jusqu'aux pays du Golfe Arabo-persique pourrait peser aux alentours de 2,4 millions de tonnes équivalent CO2. Ce à quoi s'ajouteraient les 160 navettes quotidiennes par avion entre Doha et ses voisins - soit 1 avion toutes les 10 minutes.
En admettant que ces vols soient effectués avec des Airbus A320 dotés d’une capacité de 150 passagers et remplis à 75% de leur capacité (la moyenne d’un vol traditionnel), 160 allers-retours entre Doha et Dubaï équivaudraient à 2160 tonnes de CO2e. Remplis à 100%, ils pèseraient 2880 tonnes, soit 83.520 tonnes équivalent CO2 sur les 29 jours que compte la compétition.
Par ailleurs, qu’en est-il précisément du transport aller-retour des 32 délégations attendues pour cette Coupe du monde, notamment si ces dernières privilégient l'usage des jets privés plutôt que des avions de ligne "classiques" ? Pour rappel, un jet privé émet en moyenne 5 à 14 fois plus de CO2 qu’un avion de ligne “classique”.
L’invisible pollution numérique
La Coupe au Qatar réunira environ 3,2 milliards de téléspectateurs, un chiffre du même ordre de grandeur que celui de la précédente Coupe du monde en Russie en 2018.
Selon le rapport de la FIFA, cette dernière avait alors comptabilisé plus de 34,66 milliards d’heures de visionnage. Or, il est important de souligner que la production électrique nécessaire au fonctionnement des téléviseurs est elle aussi source d'émissions de CO2, lorsqu'elle implique le recours aux énergies fossiles.
Selon Total Energies, la consommation électrique moyenne d’une télévision LCD est de 0,1 kWh par heure de visionnage, quand la moyenne mondiale de l’intensité carbone de l’électricité, elle, est de 475 gCO2e/kWh. Greenly estime ainsi que l’empreinte carbone de la retransmission des matchs se situera aux alentours de 1 à 2 millions de tonnes équivalent CO2 à elle seule.
Pour Alexis Normand, CEO et co-fondateur de Greenly : « L’ensemble de ces estimations n’est pas à prendre au pied de la lettre. Leur ordre de grandeur nous permet cependant de constater à quel point les chiffres annoncés par le Qatar sont en-deçà de la réalité. »
Une Coupe du monde loin d’être neutre en carbone
Cette Coupe du monde est présentée comme la première neutre en carbone. Quand bien même le montant des émissions de CO2 annoncées est supérieur à ceux des éditions russes et brésiliennes - respectivement de 2 millions de tonnes de CO2 chacune.
Le Qatar compte ainsi compenser ses émissions en achetant des crédits carbone. Or, à un mois de la compétition, seuls trois projets de compensation carbone ont été validés. Autrement dit, 5% de l’objectif affiché.
Pour faire valider la crédibilité des projets, le Qatar a eu recours au Global Carbon Council, une instance non indépendante et non reconnue à l’international, ayant des critères différents de ceux des autres systèmes existants.
Quoiqu’il en soit, même si le Qatar achète 3,6 millions de crédits carbone, cela sera a priori insuffisant puisque le bilan carbone de cet événement demeure largement sous-estimé.
Pour Alexis Normand : « Il est impossible d'estimer précisément l'empreinte carbone de la Coupe du monde au Qatar. Pourtant, avec nos seules estimations "au bas mot", nous avoisinons d'ores et déjà les 6 millions de tonnes de CO2e, soit presque le double des émissions annoncées par le Qatar. Sur le volet écologique, le principal reproche que l’on peut formuler réside dans l’irrationalité de la tenue d’un tel événement dans un pays dont le climat est inadapté, qui ne disposait pas des infrastructures requises - car inutiles en temps normal - ni de la capacité d’accueil nécessaire à un tel afflux de spectateurs. »