Des milliers de tonnes d'acier, de béton et d'asphalte ont déjà été retirées de la zone où ce viaduc autoroutier s'était en partie effondré, entraînant dans sa chute véhicules et passagers, locaux comme étrangers, travailleurs ou sur la route des vacances, parmi lesquels quatre enfants.
"C'est un jour important, le premier pas sur un chemin dont nous espérons qu'il sera le plus rapide possible", a déclaré le chef du gouvernement italien, Giuseppe Conte, un casque de pompiers sur la tête.
Quatre puissants vérins positionnés sur le pont grâce à une énorme grue doivent séparer une portion de la route suspendue dans les airs, longue de 36 mètres et large de 18 mètres.
L'opération, délicate, devait débuter dans la matinée et durer au moins huit heures, devant une petite centaine de journalistes.
Ces vérins, qui devront sécuriser la descente, 48 mètres plus bas, des quelque 900 tonnes de cette portion de route, sont les mêmes que ceux utilisés pour redresser l'épave du Costa Concordia, le paquebot qui s'était échoué en 2012 tout près de l'île du Giglio en Toscane. Ce naufrage avait fait 32 morts.
L'opération de vendredi, encore symbolique eu égard à la taille de ce viaduc long de plus d'un kilomètre, permettra à la ville portuaire de Gênes d'entrevoir la perspective d'un retour à la normale.
A Rome, le ministère de l'Economie a annoncé jeudi soir le déblocage de 60 millions d'euros pour la reconstruction, dont le gouvernement entend cependant présenter ensuite la facture au concessionnaire de l'autoroute, la société Autostrade per l'Italia (Aspi).
Le pont Morandi, baptisé ainsi du nom de l'architecte qui l'a conçu dans les années 1960, est un des principaux axes de circulation à Gênes, grand port du nord-ouest de l'Italie.
Opération délicate
Le démantèlement complet du pont devrait durer au moins six mois, a prévenu le secrétaire d'Etat aux Transports, Edoardo Rizi. L'opération est d'autant plus délicate que ce pont suspendu chevauche en partie des habitations -- les immeubles sous le pont sont cependant condamnés -- et une voie ferrée.
C'est un autre architecte italien, Renzo Piano, qui aura la charge de reconstruire le viaduc. Ce natif de Gênes a promis que le nouvel ouvrage durerait au moins 1.000 ans. Résolument différent du pont Morandi, le "pont Piano", en acier et béton, aura "quelque chose d'un bateau, parce que c'est quelque chose de Gênes", avait expliqué son concepteur en décembre.
Il comptera 43 lampadaires en mémoire des 43 personnes qui ont péri dans l'accident. La construction du pont, d'un coût estimé à 202 millions d'euros, sera menée par un groupement d'entreprises comprenant Sailini-Impregilo, Fincantieri et ItalFerr.
Renzo Piano, 82 ans, auteur entre autres du Centre Pompidou et du nouveau palais de justice à Paris et de la tour The Shard à Londres, a accepté de s'occuper de ce projet gratuitement, "comme forme de donation à la ville de Gênes".
Ce nouveau viaduc devrait être ouvert à la circulation en avril 2020, a promis M. Rizi, soulignant que de fortes pénalités étaient prévues par contrat en cas de dépassement des délais.
L'ancien pont, fait de béton et de câbles d'acier eux-mêmes recouverts de béton, avait été inauguré en 1967. L'une des explications avancées par les enquêteurs réside précisément dans cette couverture de béton qui aurait pu masquer la corrosion de l'acier des câbles.
La partie est du viaduc, où se trouve la portion effondrée, est toujours sous l'oeil des experts qui cherchent à comprendre les raisons du soudain effondrement et à déterminer les éventuelles responsabilités.
Plusieurs bâtiments se trouvaient sous cette portion, dont certains ont été ensevelis sous les décombres et d'autres évacués.
Le concessionnaire, Aspi, a été mis en cause et plusieurs de ses dirigeants sont sous le coup d'une enquête judiciaire, alors que plusieurs ministres ont menacé de lui retirer la concession.
Démolir un pont: des techniques multiples, un cas de figure compliqué à Gênes
Pour démolir un pont, plusieurs techniques sont possibles, à la fois en fonction de la structure de l'ouvrage et de son environnement. Le cas du pont Morandi à Gênes, dont le démantèlement doit démarrer vendredi, est particulièrement complexe.
Cet ouvrage d'art, théâtre d'une catastrophe qui a fait 43 morts en août, se distingue en effet par sa structure suspendue, sa localisation à proximité d'habitations et le fait qu'il est déjà partiellement effondré.
Comment démolir un pont ?
Les techniques sont multiples et plus ou moins élaborées.
"On a fait un guide... Pour dire l'ampleur du sujet, il fait 200 pages", souligne à l'AFP Pierre Corfdir, expert en grands ouvrages au Centre d'études et d'expertises sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema), organisme public français dépendant des ministères de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires.
Parmi les principales techniques détaillées par le guide, figurent la destruction par explosifs, celle par engins mécaniques, le retrait progressif des éléments avec une grue et la "déconstruction intégrale", autrement dit la démolition du pont en suivant l'exact chemin inverse de celui de la construction.
Sur quel critères ?
Le choix de la technique dépend largement du croisement de deux grands facteurs: la nature du pont lui-même, à travers ses matériaux de construction ainsi que sa structure, et ses environs.
"Typiquement vous prenez un pont suspendu, vous n'allez pas le dynamiter et tout laisser tomber à l'eau: c'est un cas simple et parlant où on est obligé d'enlever progressivement les éléments de tablier et en dernier lieu les câbles", détaille M. Corfdir à l'AFP.
Quant à l'environnement, "en rase campagne, on a déjà pu démolir des ouvrages à l'explosif: c'est extrêmement rapide", poursuit-il. "Évidemment, s'il y a des habitations autour, on ne va pas retenir une technique de cette sorte. On peut avoir un contexte très différent selon qu'on est au dessus d'une voie d'eau, d'une voie ferrée, de routes..."
Combien de temps pour une opération ?
"La démolition elle-même, ça se compte plutôt en semaines. Mais ce n'est pas parce que ça prend deux mois que ça ne s'est pas préparé pendant un certain temps auparavant", explique M. Corfdir, soulignant qu'en temps normal, la démolition d'un pont peut être préparée trois ans à l'avance.
Se pose aussi la question de la gestion des déchets dangereux au cours de l'opération et à son issue. Le béton armé ou précontraint, dans lequel sont construits les structures de ponts comme celui de Gênes, ne comprend pas d'amiante, mais cela peut être le cas d'éléments annexes comme les gouttières.
Quelles difficultés à Gênes ?
"Je pense que c'est l'un des cas les plus complexes qui peut se présenter pour la démolition d'un pont", juge M. Corfdir, tout en soulignant qu'il n'est pas spécialiste de cet ouvrage spécifique.
Non seulement le pont Morandi est un ouvrage à haubans, donc suspendu, mais il est situé au-dessus d'une voie ferrée, ainsi qu'à proximité d'habitations, et son effondrement partiel force à accélérer l'opération.
"Il y a une pression temporelle: il faut remettre en service un pont qui a une importance vitale pour l'économie de la ville", note M. Corfdir,
"C'est un cas très particulier qui interroge encore plus sur les questions de sécurité", conclut-il. "On ne peut pas avoir de personnel sur l'ouvrage. Est-ce qu'il faut tout faire avec des grands bras métalliques? Est ce que l'on peut envoyer des gens à proximité?"