À l'occasion des journées du patrimoine, le département populaire de banlieue parisienne ouvre samedi et dimanche les portes de plusieurs sites emblématiques de son patrimoine industriel, inscrivant même pour la première fois cette année certains lieux méconnus au programme de cet événement.
Avec ses allées pittoresques, ses façades carmin mangées de vigne vierge et ses anciens ateliers d'usine désormais occupés par des artistes, des bronziers ou des fabricants de décor de cinéma, l'Orfèvrerie de Saint-Denis fait partie de ces marqueurs de la forte industrialisation du territoire à compter du milieu du XIXe siècle, puis de sa désindustrialisation progressive depuis une cinquantaine d'années.
Parisienne curieuse, Estelle Le Goasduff a saisi l'occasion d'une rare visite guidée pour découvrir ce complexe mis en service en 1877 par la maison d'orfèvrerie Christofle, qui l'a abandonné il y a une quinzaine d'années.
Passant régulièrement devant à vélo, elle se sentait attirée par son atmosphère d'un autre temps.
L'histoire du bassin parisien, "ce n'est pas que Versailles et des grands bâtiments avec des dorures. C'est aussi toute la vie qu'il y avait, la plupart des gens vivaient et travaillaient dans ces bâtiments (industriels), il faut avoir les deux penchants", estime cette trentenaire, administratrice dans le monde du spectacle.
Avec la Coupe du monde 1998 de football et la construction du Stade de France en Seine-Saint-Denis, le département a commencé à développer une politique de promotion touristique. Mais il fallait à ce territoire défavorisé se frayer une place à l'ombre de la Ville Lumière.
Or, si les bâtiments historiques majeurs n'y sont pas légion, le "93" est en revanche légataire d'une longue tradition ouvrière. Une spécificité qu'il a donc décidé de mettre en avant. "L'histoire industrielle, c'est celle qui a conditionné les mouvements de populations, l'arrivée de vagues migratoires, donc une identité cosmopolite qui fait la richesse de la Seine-Saint-Denis", explique à l'AFP Olivier Meïer, directeur de Seine-Saint-Denis Tourisme.
Chambord brutaliste
À La Courneuve, l'usine KDI ouvrira ses immenses halles-cathédrales pour la première et dernière fois aux journées du patrimoine.
Désaffecté depuis trois ans, le site métallurgique de 5 hectares sera bientôt démoli pour laisser place à un nouveau centre-ville.
Les rayons de soleil filtrant par les trouées du toit strient d'impressionnants ponts roulants laissés en place. Les clés sont insérées dans des tableaux de commande qu'on penserait prêts à être rallumés dans l'instant, si n'était l'épaisse couche de poussière.
Donner accès à cette usine à la fois connue et méconnue des habitants du département, qui ne l'ont toujours vue que de l'extérieur, "c'est l'occasion de sensibiliser les gens à ce que c'est que la reconversion d'un site industriel", raconte Mikaël Petitjean, chargé du patrimoine à la municipalité.
Ici, "on a une charge émotionnelle forte, on a l'impression de ressentir le travail des ouvriers, l'odeur du métal, de sentir le site vibrer", renchérit Vincent Chartier, responsable de la communication de Seine-Saint-Denis Tourisme.
Plus au sud, la ville de Montreuil autorise, elle, la découverte de Mozinor, sa "zone industrielle verticale" à la double rampe hélicoïdale qui permet aux camions de monter et descendre sans se croiser, sorte d'"escalier de Chambord" version brutaliste.
"On a des demandes pour des tournages, et même pour des fêtes de mariage !", relate Gaylord Le Chequer, premier adjoint au maire, en arpentant l'improbable toit-jardin planté d'arbres et de cheminées de ce bâtiment des années 1970.
Avec le renouvellement urbain et la montée du secteur tertiaire, les infrastructures industrielles refluent cependant peu à peu du paysage de la Seine-Saint-Denis, note Antoine Furio, spécialiste du sujet au conseil départemental. D'où une réflexion sur la valeur historique et la politique de préservation de ce patrimoine. Mais "l'idée n'est pas de tout garder, il faut faire le tri".