Le chargement sera stocké chez l'un de ses amis, à l'extrême opposé de la mégalopole aux 20 millions d'habitants, où ont déjà trouvé refuge sa femme et leurs deux enfants.
Lui passera la nuit par terre, à côté des décombres des maisons du quartier détruites sur ordre du gouvernement de l'Etat de Lagos, car il ne peut se permettre de payer les transports pour se rendre chaque jour à son travail situé à proximité.
Pour cet écrivain public de 35 ans, c'est la douche froide. "Nous n'avons pas été prévenus de ces démolitions, nous nous retrouvons comme des réfugiés dans notre propre pays", se désole-t-il en référence à la vaste opération de déguerpissement qu'a lancée depuis lundi le gouvernement local pour raser ce quartier principalement composé de petites échoppes en ciment. L'opération pourrait s'étaler encore sur plusieurs jours.
Pour les autorités de Lagos, il s'agit de faire de la place pour poursuivre la construction de la méga-autoroute côtière de 10 voies sur 700 kilomètres qui doit relier Lagos à la ville de Calabar, à l'extrémité orientale du pays.
"Il faut régénérer la ville" et en finir avec "ces structures illégales", argumente auprès de l'AFP Kunle Adeshina, porte-parole du ministre de l'Environnement de l'Etat de Lagos.
"Mardi, sept personnes ont été arrêtées avec des armes dans ce quartier, l'Etat ne peut pas autoriser les criminels", ajoute-t-il.
Avec plus de 20 millions d'habitants, Lagos est au coude-à-coude avec Kinshasa pour le titre de ville la plus peuplée d'Afrique.
Alors qu'elle ne comptait que 200.000 habitants dans les années 1960, son dynamisme démographique pourrait lui valoir de devenir la ville la plus peuplée du monde d'ici 2100, selon les projections de l'ONG Climate Central.
Mais alors que les habitants des maisons situées le long du tracé de l'autoroute avaient été informés de leur destruction imminente, la percée des pelleteuses à l'intérieur du quartier a pris par surprise plusieurs milliers de familles.
Au milieu des décombres, des hommes arrachent aux gravats ce qu'ils peuvent trouver de ferraille à revendre pour quelques sous plus tard, des femmes avec enfants attendent près des valises empaquetées à la hâte pendant que quelques véhicules chargés à ras bord se frayent un chemin dans des nuages de poussières.
"Nul part où aller"
Blessing John, mère de famille de 35 ans, essuie ses larmes en tentant de transporter un vieux matelas en mousse sur lequel elle passera la nuit, malgré ses neuf mois de grossesse et l'imminence de son accouchement.
Ils sont nombreux à ne pas savoir où aller.
"Nous allons dormir ici, par terre, jusqu'à ce que nous arrivions à rassembler l'argent nécessaire pour aller dans notre Etat natal d'Ebonyi", explique Peter Nwakpa Chinedu à côté de la pelleteuse en action qui vient de réduire en ruines sa maison où il vivait avec 10 membres de sa famille.
Beaucoup d'habitants du quartier ont été relogés ici par les autorités locales après le déguerpissement du quartier de Maroko, à quelques kilomètres à l'ouest, en 1990.
Le gouvernement de Lagos leur avait alors octroyé des titres de propriété pour des appartements dans des immeubles qui n'ont jamais été terminés. Aussi, nombreux sont ceux qui ont construit de petites maisons en ciment à côté de ces bâtiments inachevés.
C'est la deuxième fois en 34 ans qu'Omolola Adekule, 68 ans, assiste à la démolition de sa maison. "Ils ont détruit ma maison à Maroko, ils ont détruit ma maison ici, je me sens mal, ma tension est élevée, je n'ai nulle part où aller, hormis la rue", déplore-t-elle l'air abattu.
Le dernier grand déguerpissement à Lagos remonte à 2020, quand l'armée avait chassé des dizaines de milliers d'habitants de la plage de Tarkwa Bay pour protéger les infrastructures pétrolières de la compagnie nationale, victimes de vandalisme, selon les autorités.
"Nous entendions des rumeurs, nous n'étions pas sûrs", raconte Ena Patrick, 48 ans, institutrice dont l'école de quartier a été rasée. "Pourquoi maintenant ? Alors que tout est si cher, que manger est un problème et que tant de familles souffrent déjà", s'énerve-t-elle.
Le Nigeria connaît une profonde crise économique depuis l'arrivée au pouvoir en mai du président Bola Ahmed Tinubu, avec une inflation qui frôlait les 30% en janvier sur un an et des millions de Nigérians qui ne mangent plus à leur faim.