Si le projet de loi contre l'habitat dégradé, qui arrive au Sénat cette semaine, est adopté, les juges pourraient disposer de sanctions pénales encore plus lourdes contre ceux qui exploitent des personnes vulnérables en leur louant des logements risquant de s'effondrer, infestés de rats, privés d'eau...
Dans la cité, "les magistrats ont désormais une vraie connaissance technique et une vraie volonté de lutter contre cette criminalité, surtout depuis le drame de la rue d'Aubagne", souligne l'avocat marseillais Aurélien Leroux, figure du combat contre l'habitat indigne.
Il y a un avant et un après 5 novembre 2018, lorsque deux immeubles vétustes de cette rue, dans le quartier populaire et paupérisé de Noailles, au centre-ville, se sont soudainement effondrés, provoquant la mort de huit occupants.
Un choc pour la ville qui, a découvert le secret de Polichinelle: Marseille compte 40.000 logements indignes, soit 10% du parc immobilier.
"Rue d'Aubagne a été comme un catalyseur d'une politique pénale du parquet plus active, plus large et plus offensive en la matière", assure à l'AFP Matthieu Grand, l'un des trois juges d'instructions chargé de ce dossier symbolique.
Entre 2011 et 2019, le nombre de poursuites liées au logement indigne était infime. Mais depuis 2019, plus de 23 affaires ont été traitées -pour refus d'exécution de travaux, soumission de personnes vulnérables à des conditions d'hébergement indignes ou refus de relogement- et déjà 11 sont prévues pour 2024.
Désormais "une dizaine de condamnations" sont prononcées par an, se félicite le procureur adjoint de Marseille Jean-Yves Lourgouilloux. Elles sont aussi plus lourdes, les procédures s'appuyant davantage sur le code pénal, où les prévenus risquent jusqu'à 10 ans d'emprisonnement, que sur le code administratif aux sanctions moins sévères.
Prison ferme
L'une des plus symboliques fut celle fin janvier de Gérard Gallas, ex-policier condamné à cinq ans de prison, dont quatre ferme, pour avoir loué ses taudis à des personnes vulnérables. En sus, deux de ses immeubles ont été confisqués.
"Taper sur les gros permet de faire réaliser aux petits qu'ils ne peuvent pas continuer à laisser leur logement dégradé en toute impunité", estime Francis Vernède, de la Fondation Abbé Pierre.
Une des difficultés est que les victimes, souvent des personnes en situation irrégulière ou de pauvreté, "ne vont pas se plaindre de leur condition de vie indigne", explique Jean-Yves Lourgouilloux. Aux pouvoirs publics alors d'alerter.
Or, juges et procureurs soulignent que l'ancienne municipalité de droite n'avait fait "pratiquement aucun signalement" basé sur l'article 40, qui permet à tout agent public de saisir la justice sur des faits constitutifs d'un crime ou délit. "Pour ouvrir une enquête, il nous faut des signalements", martèle M. Lourgouilloux.
Depuis l'arrivée en 2020 de la nouvelle municipalité de gauche, "plus de 150 signalements à la justice ont été faits en trois ans et demi" visant des propriétaires, s'enorgueillit Patrick Amico, adjoint au Logement.
Parallèlement, la Ville, dorénavant partie civile dans les dossiers concernant les marchands de sommeil, signe environ "30 arrêtés de mise en sécurité (ex-arrêté de péril) par mois visant des logements insalubres de simples propriétaires peinant financièrement à les entretenir comme ceux de marchands de sommeil.
La création en 2019 d'un groupe local de traitement de la délinquance (GLTD) dédié à l'habitat indigne, réunissant mairie, métropole, département et services préfectoraux, permet aussi une meilleure remontée d'informations.
"Prioriser"
Mais, face à l'ampleur des signalements (hors article 40), effectués via avocats, locataires ou lettres de dénonciation, les services de police sont débordés : seuls deux officiers de police judiciaire sont dédiés aux enquêtes d'habitat indigne, un nombre "insuffisant pour une ville comme Marseille", remarque M. Lourgouilloux.
Le parquet doit donc "prioriser" ses enquêtes en se concentrant sur "les cas les plus graves". Mais il compte un magistrat référent dédié à cette thématique devenue "prioritaire" et à ces "dossiers de longue haleine, très techniques et souvent combattus avec force" par les propriétaires. "Un dossier met environ deux ans à arriver" devant le tribunal, relève le procureur.
Les juges ont également "bénéficié de formations sur l'habitat", se félicite Isabelle Herbonnière, vice-présidente adjointe du tribunal judiciaire. Et la 6e chambre correctionnelle, traitant d'habitat indigne, a obtenu trois renforts en 2022, permettant, avec sept juges, de "doubler" le nombre d'audiences.
"Paris à part, aucune autre juridiction n'est autant focalisée" sur cette thématique, estime Simon Lanes, vice-président du tribunal judiciaire.