Sur le seul 4e trimestre 2024, 17.966 défaillances sont dénombrées par BPCE L’Observatoire. Ce record de défaillances et leurs conséquences économiques, notamment en termes d’emplois, constituent une alerte pour les acteurs économiques et politiques, au tournant d’une année 2025 qui s’annonce déjà difficile sur le plan économique et incertaine sur le plan politique et budgétaire.
Un contexte économique qui reste difficile pour les entreprises
L’environnement économique des entreprises se dégrade avec un ralentissement de l’emploi salarié privé (+47.000 sur an au T3 2024) et une croissance économique modérée (+1,1% en 2023 et 2024). Cependant, l’activité est surtout tirée par la dépense publique et le commerce extérieur alors que les TPE et PME dépendent surtout de la demande intérieure privée, atone en 2024 avec une faible progression de la consommation et un investissement en fort recul.
La persistance d’une inflation dans les services, essentiellement d’origine salariale, a surtout pesé sur les marges des secteurs serviciels et différé la baisse des taux directeurs. Depuis mi-2023, la hausse des coûts de financement pèse sur leur profit, qui a chuté à un niveau historiquement bas en 2024, et limite la demande dans certains secteurs (immobilier et bâtiment). Le reflux des taux longs en France, et donc des coûts de financement des entreprises, est également entravé par l’état des finances publiques.
Néanmoins, les TPE-PME semblent particulièrement fragilisées par une activité économique et des marges plus contraintes que dans les grandes entreprises, et les stigmates des chocs précédents (covid, prix de l’énergie et hausse des salaires notamment) sont encore présents pour de nombre d’entre elles. Aussi, l’incertitude en termes de politique économique pèse sur les anticipations d’investissement des entreprises, déjà en repli depuis quelques trimestres : 56% des dirigeants de TPE-PME estiment que l’incertitude politique a un impact fort sur l’activité de leur entreprise si bien qu’une entreprise sur 2 prévoit de reporter ses projets d’investissement et 21% compte les annuler (BPI-Rexecode).
Les PME-ETI et de nombreux secteurs sont particulièrement sinistrés !
Dans ce contexte, la remontée des défaillances d’entreprises s’est encore accélérée en 2024. BPCE L’Observatoire dénombre 17.966 défaillances au 4e trimestre 2024, soit le plus haut niveau pour un 4e trimestre depuis 2009. Au total, le nombre de défaillances a atteint 66.422 unités en France sur l’ensemble de l’année 2024 (+28% par rapport à 2019 ; +17% par rapport à 2023).
Numériquement, c’est un record au regard des 15 dernières années, dépassant en particulier les niveaux élevés de la période 2010-2015. Pour autant, compte tenu du nombre anormalement bas de défaillances entre 2020 et 2022, ce record de 2024, après le niveau élevé de 2023, ne correspondent en fait qu’au rattrapage partiel (37%) des quelque 53.500 défaillances évitées durant la crise sanitaire (en prenant 2019 comme année de référence).
En revanche, au-delà du nombre total de défauts, le bilan de 2024 confirme d’autres indicateurs d’alerte, déjà perceptibles antérieurement, selon Alain Tourdjman, directeur des études économiques de BPCE, et Julien Laugier, économiste à BPCE :
- Le phénomène de rattrapage des défaillances évitées entre 2020 et 2022 est en fait très hétérogène. De 27% pour les entités de moins de 3 salariés, le « rattrapage » des défaillances évitées par le « quoi qu’il en coûte » atteint 100% pour les PME et les ETI (10 salariés et plus). Autrement dit, statistiquement, toutes les défaillances de PME évitées de 2020 à 2022 grâce aux dispositifs de soutien se sont finalement manifestées depuis 2023. Ce phénomène est particulièrement sensible pour les entreprises appartenant au secteur dit S1 regroupant les activités les plus exposées aux effets de la crise sanitaire et donc celles qui ont été davantage soutenues par l’action publique : le rebond des défaillances après 2022 y a été nettement plus marqué pour les entités de plus de 5 salariés que pour les très petites structures.
- De manière générale, on observe 3 situations différentes selon l’effectif :
- En 2024, 5.265 PME-ETI (10 salariés et plus) ont fait défaut contre 3.478 en 2019, soit une progression de 51%. Statistiquement, les défaillances de PME-ETI évitées de 2020 à 2022 n’auront été que reportées en 2023-2024.
- Pour les entités employant 3 à 9 salariés, la hausse des défaillances par rapport à 2019 a été de 31% avec un rattrapage seulement partiel des défaillances évitées entre 2020 et 2022.
- Les microentreprises et les TPE de moins de 3 salariés connaissant une montée des défauts moins forte par rapport à 2019 (+25%) mais enregistrent une accélération des plus marquée depuis un an alors qu’elles étaient jusque-là moins vulnérables.
- Comme le laisse supposer l’analyse par taille, le haut niveau des défaillances ne s’explique pas par la multiplication récente des créations d’entreprises, le plus souvent sans salarié. Ainsi, les créations récentes (ancienneté inférieure à 3 ans) ne représentent plus que 18% des défaillances en 2024 contre respectivement 24% et 23% en 2015 et 2019. La hausse des défaillances a bien davantage concerné des entreprises de 6 à 10 ans d’ancienneté, voire au-delà.
- La mesure du nombre d’emplois menacés, qui permet d’évaluer le poids économique des défaillances, se stabilise à un très haut niveau avec 260.000 emplois exposés, soit 41% au-delà de 2019.
- Les différences sectorielles sont très marquées. Traditionnellement, les secteurs de l’industrie, de la construction et du commerce sont les plus impactés et concentrent plus de la moitié des emplois menacés. Toutefois, la dégradation observée en 2023 et 2024 par rapport à 2019 met en évidence 6 secteurs dont l’exposition s’est nettement accrue : la construction et le commerce mais aussi l’immobilier, l’hébergement-restauration, les services aux entreprises et les services aux ménages. Parmi ces secteurs, la situation est plus préoccupante pour l’hébergement-restauration et surtout pour la construction et l’immobilier, où les emplois menacés représentent entre 2% et 3,5% des emplois salariés de la branche.
- L’approche territoriale distingue 5 régions, plutôt dans le quart Nord-Est, relativement épargnées avec des hausses de défaillances inférieures à 15% entre 2019 et 2024 (la Lorraine, Champagne-Ardenne, le Limousin, la Franche-Comté et l’Alsace) et 5 régions très affectées, plutôt au Sud-Ouest et dans les zones très densément peuplées, avec des hausses comprises entre +34% et +43% (Aquitaine, Midi-Pyrénées, Ile-de-France, Poitou-Charentes et Rhône-Alpes). Concernant les entités de taille plus importante (6 salariés et plus), les écarts sont encore plus sensibles entre le Limousin et Champagne-Ardenne (5 à 7% de hausse des défauts) et Poitou-Charentes ou Aquitaine (respectivement +101% et +87%). La Haute-Normandie et la Picardie s’illustrent aussi avec une forte montée des défaillances (respectivement +74% et +66%).
Vers 68.000 défaillances en 2025 et 240.000 emplois menacés selon nos prévisions
BPCE L’Observatoire prévoit une nouvelle hausse des défaillances en 2025, autour de 68.000 évènements, soit un niveau historiquement très élevé, et 240.000 emplois seraient menacés par des défaillances en 2025 selon Alain Tourdjman et Julien Laugier. En revanche, contrairement aux deux dernières années, cette progression s’expliquerait surtout par les petites entités, les défauts se stabilisant pour les PME et ETI.
Cette prévision s’inscrit dans un environnement en 2025 qui verra se superposer plusieurs effets potentiellement délétères pour les entreprises : (i) la croissance économique demeurerait très limitée (en-dessous de 1%) et devrait détruire des emplois selon la Banque de France ; (ii) la poursuite des remboursements de PGE et la normalisation des recouvrements de l’Urssaf ; (iii) un risque d’attentisme accru des ménages et des entreprises qui dépendra du degré d’incertitude politique et de la politique budgétaire; (iv) un recul limité des coûts de financement.
Ces facteurs devraient tout particulièrement affecter les entités de petite taille, en particulier le deuxième point. Comme on le perçoit déjà au quatrième trimestre 2024, les défaillances d’entités de moins de 3 salariés devraient s’accélérer. En revanche, côté PME et ETI, leur nombre pourrait s’infléchir, le rattrapage des défaillances évitées durant la période 2020 à 2022 étant déjà acquis, en particulier pour les structures fragilisées durant la crise sanitaire (secteur S1).
*A partir des données extraites et retraitées par nos économistes, BPCE L’Observatoire est aujourd’hui en mesure de fournir une analyse statistique et économique très détaillée des défaillances d’entreprises.
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