"Je n'ai eu que 30 minutes pour rassembler le plus d'affaires possibles, avant qu'ils les détruisent avec ma maison. Ils nous ont pris par surprise et je ne sais même pas où aller maintenant", a expliqué à l'AFP en pleurs Victoria Ajah, une mère de famille de 50 ans en face des ruines de sa maison dans ce quartier d'environ 10.000 habitants.
Au cours de la matinée, les habitants se sont précipités dans leurs maisons pour récupérer matelas, vêtements et ustensiles de cuisine, avant de quitter les lieux.
Dans ce climat tendu, des hommes non-identifiés s'apparentant à des agents de sécurité ont ordonné aux journalistes présents sur place de quitter les lieux, avant de les menacer ouvertement, ont constaté trois journalistes de l'AFP.
Au cours des derniers mois, les autorités nigérianes ont entrepris plusieurs opérations d'expulsion et de démolition dans plusieurs quartiers précaires de Lagos.
"Une famille puissante qui a des liens avec l'Etat de Lagos veut prendre ces terres (en référence au quartier d'Otumara). Je ne sais pas dans quel but", a indiqué à l'AFP Megan Chapman, co-directrice de l'ONG Justice and Empowerment Initiatives qui aide les communautés de Lagos à défendre leurs droits.
Contactée par l'AFP, l'agence de rénovation urbaine de l'État de Lagos qui a ordonné la démolition n'a pas répondu dans l'immédiat.
Plusieurs quartiers menacés
La zone dans laquelle se trouve le quartier d'Otumara, situés dans le Mainland, la partie la plus pauvre de Lagos, est convoitée par les projets immobiliers en raison de sa proximité avec les îles plus riches, alors que la ville fait face à la surpopulation et à l'envolée des prix de l'immobilier.
"Cette destruction est une violation de la loi et du verdict rendu par la Haute cour de Lagos en 2017", a déclaré Mme Chapman.
En 2016, les habitants d'Otumara se sont associés avec une quinzaine d'autres communautés des environs pour porter plainte contre l'Etat de Lagos après plusieurs menaces d'expulsion.
En juin 2017, la Cour de Lagos a ordonné aux autorités de suspendre leur projet, reprochant l'absence de solution de relogement pour les populations concernées dans une décision de justice consultée par l'AFP.
"Les défendeurs sont par la présente (lettre) suspendus de toute nouvelle tentative d'expulsion forcée des requérants", a indiqué le juge Onigbanjo dans le document.
Elle a demandé à l'Etat de Lagos de mener des consultations avec les parties prenantes "sur la meilleure façon de reloger" les habitants avant de détruire leur quartier.
Pas de solution de relogement
Malgré cette décision judiciaire, l'État de Lagos a néanmoins choisi de détruire Otumara et d'autres quartiers populaires, sans informer les habitants de la date des démolitions.
"En 2021, ils ont indiqué vouloir réhabiliter le quartier, mais les habitants n'ont pas été intégrés aux discussions. Et début février 2024, il y a eu de nouvelles rumeurs de destruction. Les habitants ont manifesté et envoyé des lettres au gouverneur mais en vain", a déclaré Megan Chapman.
"Les gens n'ont nulle part où aller. La plupart sont nés et ont grandi là. D'autres sont arrivés à Lagos depuis des années pour vivre ici. Je ne sais pas ce que l'on va devenir", a confié Victoria Ajah.
En septembre 2024, plusieurs habitations des communautés d'Oko Baba Sawmill dans le quartier d'Ebute Metta et d'Aiyetoro, proches d'Otumara, ont également été démolies.
Plusieurs autres quartiers de la mégalopole de 20 millions d'habitants sont également menacés de destructions, dont le bidonville flottant de Makoko de près de 300.000 habitants, voisin d'Otumara.
Le logement reste un enjeu majeur à Lagos, tandis que la population continue de croître de 3.000 personnes par jour, et que les autorités peinent à répondre à la demande croissante de logements.