Les ponts routiers en chiffres
- Entre 200.000 et 250.000 ponts routiers en France
- 12.000 appartiennent au réseau d’Etat non concédé
- 12.000 appartiennent au réseau d’Etat concédé
- 100 à 120.000 ponts appartiennent aux départements
- 80 à 100.000 ponts appartiennent au bloc communal.
- 40.000 ponts sont en très mauvais état en France.
- 1 pont tous les 30 km présente une dégradation structurelle importante...
En moyenne, ne pas faire les travaux nécessaires d’entretien des ponts coûte près de 9 fois plus cher que de les réaliser.
La démarche
A l’heure où l’argent public est rare et où les collectivités locales ont tendance à repousser les travaux, le STRRES – le syndicat des réparateurs d’ouvrages d’art - a voulu chiffrer les incidences du report de travaux de ces infrastructures du quotidien que sont les ponts.
Pour ce faire, il a mandaté le cabinet d’études indépendant Citizing, qui a étudié 10 ponts de tailles, de techniques et de géographies différentes, qui ont récemment fait l’objet de travaux. Il a quantifié combien cela aurait coûté si les travaux n’avaient pas été réalisés, à la fois financièrement, mais aussi socialement, et du point de vue environnemental. En d’autres termes, il a chiffré le coût collectif de l’inaction.
Méthodologie mise en œuvre : l’analyse socio-économique des projets d’infrastructures
Il s’agit d’une méthode reconnue, normée et obligatoire pour les investissements de l’Etat de plus de 20M€.
Elle consiste à mettre en balance les impacts positifs et négatifs des projets, dans toutes leurs dimensions (économique, sociale et environnementale). Ces impacts peuvent concerner toutes les parties prenantes (les usagers, les riverains, la puissance publique, etc.) et survenir sur le court et le long terme.
Cette méthode a 2 spécificités :
- La situation de réalisation des travaux est comparée à une situation d’inaction (on n’engage pas de travaux)
- Les impacts sont traduits en euros, selon les recommandations de l’Etat. Par exemple, 1 heure perdue pour une détour équivaut à une perte de 25€ // 1 tonne de carbone = 170€.
En permettant de vérifier que les impacts positifs l’emportent sur les impacts négatifs, cette méthode sert 2 objectifs : s’assurer que l’argent public est mobilisé pour des projets qui créent de la valeur collective et renforcer l’acceptabilité des travaux auprès des citoyens.
Ce que le STTRES a découvert
En moyenne, ne pas faire les travaux nécessaires d’entretien des ponts coûte près de 9 fois plus cher que de les réaliser.
En effet, un pont que l’on ne surveille pas, se dégrade de façon invisible. Si on le laisse se dégrader, les problèmes croissent de façon exponentielle, les coûts de réparation et les coûts socio-économiques et environnementaux aussi.
Ce résultat est le fruit d’une étude réalisée sur 10 ouvrages. La valeur selon laquelle ne pas agir ou agir tardivement coûte 9 fois plus cher que d’agir est une moyenne qui reflète imparfaitement les situations uniques de chaque ouvrage. Toutefois, si les chiffres peuvent être sensiblement différents d’un projet à l’autre, on retiendra que le Retour sur Investissement est positif dans 100% des cas.
2 types d’effets de l’inaction se cumulent :
- Pour le budget de la collectivité. Il est plus économe de faire les travaux rapidement plutôt que d’attendre : plus on laisse la situation se dégrader, plus les travaux sont importants, et plus cela va peser sur le budget de la collectivité. En moyenne, il faut compter sur un investissement multiplié par 3 si on reporte les travaux des ponts d’une décennie. Ce surcoût n’est pas lié à l’inflation, mais aux travaux supplémentaires qu’il conviendra d’engager en raison de la dégradation accrue de l’ouvrage.
- Les impacts sur les citoyens et les entreprises. Ne pas faire les travaux, c’est assumer qu’il y aura des fermetures complètes des ponts, longues et parfois définitives, afin d’assurer la sécurité des usagers. Or une fermeture de pont engendre des détours, qui à leur tour génèrent :
- Des pertes de temps
- Avec celles-ci, des coûts d’usage des véhicules, qui sont autant de pertes de pouvoir d’achat pour les automobilistes
- Une probabilité d’accidents de la route supplémentaires
- Des émissions de CO2 et de polluants atmosphériques
- Des pertes d’exploitation pour les commerçants dans les zones concernées
Une conversion en euros (monétarisation) a été effectuée pour l’ensemble de ces impacts, en se basant sur les référentiels de l’Etat, sur les données de fréquentation de chaque pont et sur l’estimation des distances à parcourir en cas de fermeture du pont et de nécessité de détour. En moyenne, l’impact extra-budgétaire est quasiment 6 fois plus élevé que le coût des travaux nécessaires d’entretien. En d’autres termes, les citoyens et la planète sont les grands perdants des reports de travaux.
Ainsi reporter les travaux, c’est en moyenne 3 fois plus cher en termes budgétaires et 6 fois plus cher au plan socio-environnemental. Au global à 10 ans, il est donc 9 fois plus coûteux de ne pas faire les travaux plutôt que de les réaliser, malgré des montants de travaux qui peuvent de prime abord rebuter certains décideurs publics court-termistes.
D’autant que les chiffrages proposés sont conservateurs. En effet, certains effets dramatiques liés à la fermeture des ponts dans les territoires enclavés n’ont pas été chiffrés, comme l’isolement, la perte de liens et les pertes économiques.
Pour Lionel Llobet, président du STRRES – Les Réparateurs d’ouvrages d’art : « "LE TEMPS C’EST DE L’ARGENT" L’étude démontre que reporter les travaux d’entretien c’est dépenser beaucoup plus ! A l’heure où les budgets sont de plus en plus contraints et où l’optimisation des deniers publics est plus que nécessaire, il est avéré que repousser des travaux d’entretien des ouvrages d’art, c’est dépenser inutilement l’argent public et augmenter l’impact carbone. C’est aussi faire peser sur les citoyens des coûts injustes qui amputent leur pouvoir d’achat aujourd’hui et augmenteront les impôts de leurs enfants demain. Qu’allons-nous laisser à nos enfants ??? Des dettes et une planète en piteux état. Il est encore temps de réagir. Rapidement. »
Pour Julie de Brux, fondatrice de Citizing : « Chez Citizing, notre spécialité, c’est la méthode, pas les objets auxquels on l’applique. Ainsi, nous ne savons jamais avant de démarrer, sur quels résultats nous allons tomber. Au fur et à mesure que nous avancions dans l’étude de ces ponts et dans la modélisation des incidences de l’inaction, nous étions impressionnés par ce que nous trouvions. Qui pourrait penser qu’un petit pont avec une fréquentation de moins de 500 véhicules par jour puisse générer, en cas de fermeture, jusqu’à plusieurs millions de kilomètres de détours par année de fermeture ? Par ailleurs, tout au long de ce travail, nous nous sommes efforcés d’interroger les professionnels des ouvrages d’art et d’en retirer des hypothèses prudentes de modélisation des impacts économiques, sociaux et environnementaux. Les chiffres présentés ici, sont vraiment des estimations a minima. »
Les 10 cas étudiés
La méthode d’évaluation socio-économique a été adoptée pour 10 ouvrages récemment réhabilités, sélectionnés pour leur variété en termes de :
- Géographie, la plupart des régions étant représentées, avec des territoires ruraux, urbains et semi-urbains
- Taille d’ouvrage
- Typologie de maître d’ouvrage, avec des ouvrages propriétés de communes, de départements comme de l’État
- Types de structure (maçonnerie, béton, métallique)
Ainsi, on retrouve à la fois, le pont du Bonheur dans le Gard, pour lequel le montant de rénovation s’est élevé à environ 200 k€, et qui enregistre une fréquentation quotidienne d’à peine plus d’une centaine de véhicules par jour ; et à l’opposé, le pont de Groléjac qui enjambe la Dordogne, qui a nécessité plus de 10M€ d’investissement et enregistre une fréquentation de l’ordre de 4500 véhicules et 250 poids lourds par jour.
Dans l’ensemble des études de cas, la mise en évidence des distances supplémentaires à parcourir en cas de fermeture (d’une durée plus ou moins longue selon l’ampleur des travaux nécessaires) est frappante : + 5 km pour contourner le pont du Tilleul, +12 km pour le pont du Doubs, +13,5 km pour le pont d’Andelys, +20 km pour le pont du Port qui Tremble, +25 km pour le pont de Groléjac, …
Multipliées par les données de fréquentation, ces distances supplémentaires par trajet aboutissent à des distances supplémentaires par année de fermeture qui se comptent en centaines de milliers de kilomètres, voire en millions de kilomètres. Le bien nommé pont du Bonheur, avec sa fréquentation quotidienne d’environ 110 véhicules par jour et ses détours nécessaires de 3 km en cas de fermeture (qui aurait duré 3 ans en cas de report des travaux, alors qu’une simple circulation alternée a été suffisante lors des travaux de 2023), génère près de 120.000 km de détours par année de fermeture.
Dès lors, le coût sociétal de ces détours est colossal.
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