"Bien sûr que ça a beaucoup changé!" En 67 ans dans le même immeuble du quartier République (11e arrondissement), Michel Zug en a vu passer, des générations de commerces: vente de pieds à coulisse, de courroies de transmission en cuir, maroquineries, débiteur de blocs de glace pour la conservation des aliments...
Le magasin bio Biocoop de l'avenue de la République? Ouvert en juin 2014 à l'emplacement auparavant occupé par "une librairie spécialisée en histoire, et encore avant, par un magasin de pompes hydrauliques", se souvient-il. A côté, un bijoutier et un magasin d'antennes satellites ont progressivement laissé place à un magasin de fleurs et de primeurs et à un bar à jus.
Bio en hausse, journaux en baisse
Si le nombre des commerces à Paris (environ 60.000) est resté stable sur la période 2014-2017, leur nature a évolué, avec notamment une forte progression des magasins bio (+47%) et des magasins de sport (+23%), et un recul du commerce de gros (-21%), des antiquités et brocantes (-17%), des marchands de journaux (-15%) ou encore des sex-shops (-13%), notait en mars 2018 l'Atelier parisien d'urbanisme (APU).
Des mutations qui peuvent renforcer le sentiment que Paris se transforme sous la pression de la gentrification. Rue Oberkampf, la poissonnerie Lacroix et son employé haut-en-couleur, Charly Hanafi, a fermé cet été et pourrait être remplacée par un magasin bio, selon le quotidien 20 Minutes, dans lequel s'émouvait le poissonnier: "il n'y a que ça dans le quartier!".
Autour de son ancien local, pourtant, les commerçants n'ont pas tant changé. La fromagerie, les boucheries, le marchand de fleurs, le primeur, le caviste ou le traiteur grec n'ont pas bougé. Michel Zug a "toujours connu" une boulangerie au bas de la rue, près du boulevard Richard Lenoir.
Et si l'on se presse de loin pour une table chez Pierre Sang, chef franco-coréen rendu célèbre au début des années 2010 par l'émission Top Chef, on trouve aussi tout près des bistrots d'habitués, comptoir en zinc et écran plat pour les matches du PSG.
"Il n'y a pas de corrélation entre la valeur des m² de logement et des m² de commerce, dont la valeur est définie par le chiffre d'affaires, l'emplacement et le type de surfaces", synthétise Christian Dubois, directeur de la branche distribution et services du cabinet de conseil en immobilier d'entreprise Cushman & Wakefield.
"Changement sociétal"
Or, "s'il y a 5% de nouveaux habitants mais que les 95% autres ne vendent pas, les commerces n'ont pas nécessairement besoin de changer", complète-t-il.
"Pour les quelques transactions qui se font à des montants astronomiques, il ne faut pas oublier que tous les habitants ne vendent pas!", abonde un des commerçants de la rue. Il assure en outre que ses prix n'ont pas augmenté avec l'arrivée de populations au pouvoir d'achat plus élevé.
Et si "les gens qui arrivent ont peut-être plus de moyens, ils doivent aussi consacrer une part plus importante de leurs revenus à leur crédit immobilier ou à leur loyer", nuance également Lucia Renzulli, du magasin de jouets "Dandeloo", un peu plus loin vers l'église Saint-Ambroise.
Pour expliquer les difficultés de la vente de détail, elle pointe quant à elle le loyer élevé :"que ce soit pour le citoyen ou l'artisan, quand le loyer vous mange 50% de votre budget, comment pouvez-vous encore relancer" l'économie?, réagit Bernard Stalter, président de la chambre des métiers et de l'artisanat -, mais surtout la concurrence d'internet.
"Le fait qu'il y ait des supermarchés bio qui ouvrent correspond avant tout à un changement sociétal", estime aussi Christian Dubois. Dit autrement, les nouveaux commerces s'adaptent à la demande mais n'ont pas chassé des commerces historiques, davantage "mis en fragilité" par l'évolution des tendances de consommation que par l'envolée des prix du m² d'habitation.