Le redémarrage du marché immobilier n’étant pas prévu à court terme, l’année 2024 portera encore les stigmates du plongeon de l’investissement résidentiel neuf des ménages, coincés entre une solvabilité dégradée, des prix encore élevés et des taux d’intérêt qui peineront à baisser. Du côté des TP, le cycle électoral contribue certes à ranimer les projets des collectivités, encore très ciblés sur certaines clientèles, territoires et spécialités de travaux, tandis que la crise immobilière pèsera aussi sur la maîtrise d’ouvrage privée. Au total, les besoins en granulats et en BPE reculeront à nouveau en 2024 et les volumes produits pourraient afficher des plus bas historiques.
Un mauvais mois d'octobre pour le BPE
Si les premiers résultats de l’enquête mensuelle d’octobre suggèrent une stabilisation de l’activité des granulats au regard du mois de septembre (+0,1%, données CVS-CJO) ils traduisent un net repli de celle du BPE (-2,5%). Dans un cas comme dans l’autre, les volumes produits s’inscrivent en net retrait en comparaison d’octobre 2022, de -8,1% s’agissant des granulats et de -10,7% pour le BPE. Ainsi, sur les trois derniers mois connus (août à octobre), l’activité est quasiment étale au regard des trois mois précédents du côté des granulats (-0,3%) mais recule du côté du BPE (-1,9%). Au cours du dernier trimestre, les volumes de granulats ont ainsi perdu -5,9% sur an, un rythme plus atténué que le cumul glissant sur dix mois (-7,4%) ou que le cumul sur 12 mois (-6,7%). Cela suggère une conjoncture un peu moins dégradée sur la période récente, ce qui n’est pas le cas pour le BPE. En effet, la contraction des cubages du dernier trimestre atteint -6,6% sur un an, soit une aggravation du mouvement baissier comparé au cumul glissant sur janvier-octobre ou sur douze mois (-6,2%). Compte tenu des indicateurs disponibles à ce jour, l’année 2023 pourrait se solder par une baisse de la production d’au moins – 6,5% pour le BPE et de -7,5% pour les granulats (données brutes).
Encore provisoire pour le mois d’octobre, l’indicateur matériaux enregistrerait une contraction de -9,8% par rapport à octobre 2022 après la baisse de -7,5% constatée au troisième trimestre sur un an (données CJO). Les matériaux à destination du bâtiment affichent les replis les plus prononcés et l’activité globale du panier de matériaux, en cumul sur les dix premiers mois de l’année, cèderait -8,5% sur un an.
Bâtiment : le pire est à venir
En novembre 2023, le climat des affaires dans l’industrie du bâtiment mesuré par l’INSEE, s’est de nouveau dégradé. Tous les soldes d’opinion se détériorent, ou au mieux se stabilisent, (carnets de commandes, activité passée et à venir, effectifs prévus...) pour tutoyer les moyennes de long terme, voire s’en éloigner. Dans le gros œuvre, le solde d’opinion sur l’incertitude économique ressentie a fortement rebondi. Au fil des mois l’horizon s’assombrit pour la conjoncture du logement : certes, la chute des permis de construire semble se modérer depuis deux mois (seul point positif au tableau !) mais la tendance n’en reste pas moins fortement baissière avec un recul des dépôts de -17% sur un an au cours des trois derniers mois connus (août à octobre), ce qui porte à 375.000 le nombre d’autorisations en cumul sur douze mois, soit une chute de -26,2%. Du côté des mises en chantier en revanche, toujours selon les données SITADEL du ministère, la baisse continue de s’aggraver pour atteindre -25,4% sur un an ce dernier trimestre, contre -17,8% en cumul sur les douze derniers mois. À ce rythme, il apparaît désormais acquis que moins de 300.000 logements seront mis en chantier en 2023 (305.400 unités à fin octobre). L’année devrait donc se solder par une perte d’environ 70.000 logements commencés et, compte tenu de l’orientation actuelle des permis et des ventes, une nouvelle contraction (environ 50.000 unités) est attendue en 2024. A fin octobre, les ventes des constructeurs de maisons individuelles reculaient de près de 38% sur un an (selon Markemétron), celles des promoteurs immobiliers plongeaient de -40% au troisième trimestre et leur projection d’ouverture de nouveaux programmes n’a jamais été aussi basse depuis que l’enquête existe (juillet 1991). Ces indicateurs traduisent bien le marasme actuel du segment du logement. Cependant, les mois qui viennent pourraient marquer l’atténuation de certains des facteurs qui ont alimenté la crise. La remontée en flèche des taux d’intérêt (+450 points de base en 15 mois) va laisser place à une accalmie; une légère baisse des taux pourrait même intervenir au second semestre 2024, même si l’ère des taux bas semble bel et bien révolue.
De même, la politique de distribution du crédit, rationnée par autorités financières depuis 2022, pourrait redevenir un peu plus accommodante fin 2023 et en 2024, en lien avec la reconstitution des marges des banques et un léger assouplissement des critères d’octroi (HCSF). Mais l’année 2024 portera les stigmates de ces chocs passés et surtout, tous les freins ne sont pas encore desserrés pour relancer le marché du neuf : la solvabilité des ménages restera en effet fortement pénalisée par l’inflation, et la remontée du chômage risque de les inciter à épargner plutôt qu’à investir. Quant aux prix immobiliers, certes en recul dans le segment de l’ancien, ils peineront à baisser dans le neuf en raison de la rigidité des structures de coûts (rareté du foncier, assèchement de l’offre immobilière, coûts de construction gonflés par les normes...). Enfin, le soutien public pour l’accession à la propriété (PTZ) s’achève fin 2023 dans son format actuel et son recentrage en limite drastiquement le potentiel incitatif. Quant au dispositif Pinel, à destination des particuliers investisseurs, il prendra fin en décembre 2024. Tous ces éléments plaident pour une conjoncture constructive encore bien mal orientée l’an prochain même si le segment du non résidentiel pourrait apparaître moins dégradé que le logement.
Les travaux publics impactés par l'immobilier
Selon la FNTP, l’activité s’est ressaisie en 2023 et, à fin octobre, les travaux réalisés affichaient une hausse de +4,8% en volume (CVS-CJO). La modération des coûts de production et le réveil des marchés conclus (+13,2%), en lien avec la hausse des investissements publics en cette période du cycle électoral, contribuent à alimenter les chantiers. Toutefois, ces derniers restent très concentrés sur certaines clientèles (grande métropoles, intercommunalités) et sur certaines spécialités (énergie, génie civil, transports urbains...) et, de fait, n’alimentent pas encore de façon homogène la demande de nos matériaux. En particulier, l’atonie des travaux routiers (surtout pilotés par les départements) pèserait encore sur la demande en granulats. Enfin, en 2024, la crise immobilière briderait aussi une partie des travaux de la clientèle privée, la tenue des jeux olympiques pesant de surcroît sur le déroulement des chantiers franciliens.
Besoins en matériaux 2024
L’activité des matériaux serait elle aussi ralentie l’été prochain par l’arrêt des travaux et restrictions logistiques liées aux JO. Pour le BPE, un impact estimé autour de 1,5 point viendrait s’ajouter au repli conjoncturel. Au total, la production de BPE baisserait de 10,5% en 2024, à moins de 33 Mm3, tandis que celle de granulats perdrait 6%, à 300 Mt... des niveaux historiquement bas !
Perspectives 2024 (volume de production)
(Données brutes)
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