L’année 2024 s’annonce donc compliquée pour les matériaux et les autres secteurs liés au bâtiment et à l’immobilier, le point bas du cycle n’étant sans doute pas encore atteint. Même si les facteurs qui ont fomenté la crise (hausse des taux, octroi restrictif des crédits, inflation immobilière...) vont nettement s’atténuer, les conditions d’un redémarrage sont loin d’être réunies. L’investissement logement des ménages restera plombé par une solvabilité dégradée et une préférence pour l’épargne dans un contexte de remontée du chômage et de croissance économique ralentie.
Net repli de l'activité granulats en novembre
Les résultats de l’enquête mensuelle du mois de novembre suggèrent une nette dégradation de l’activité des matériaux, à la fois par rapport aux mois précédents comme au regard de l’an passé. Il est vrai aussi que le rebond de la production de granulats enregistré fin 2023 en vue de stocker (dans un contexte de crainte de pénuries d’électricité) contribue à durcir le trait mais, en niveau absolu, le constat est sans appel : en novembre, la production de granulats aurait baissé de -6,8% par rapport à octobre et de -17,7% par rapport à novembre 2023 (données CCS-CJO), soit un niveau inférieur de près de 17% à la production mensuelle moyenne de 2022. Sur les trois derniers mois (septembre à novembre), l’activité cède -4,8% par rapport à juin-juillet-août et -10,9% sur un an. Au total, sur onze mois cumulés, la tendance des granulats fléchit de -8,4%. Du côté du BPE, le mois de novembre est également marqué par une dégradation, les volumes livrés se contractant de -3,8% sur un mois et de -13,5% sur un an (données CVS-CJO). Cette détérioration est encore plus marquée sur les trois derniers mois que pour les granulats puisque les livraisons perdent -5,5% par rapport aux trois mois précédents (et -10,4% en glissement sur un an). Là aussi, les volumes livrés en novembre enregistrent un niveau très bas comparé à la moyenne mensuelle de 2022, de l’ordre de -15%. En cumul sur les onze mois de 2023, les cubages produits cèdent ainsi près de -7% sur un an.
Et les autres matériaux ne se portent pas mieux ! Notre indicateur décrit en effet un net décrochage de l’activité en novembre avec une chute de -18,7% par rapport à l’an passé (données CJO). Les tuiles et les briques plongent d’environ -38% tandis que les produits en béton destinés au bâtiment se contractent de près de -27% au regard de novembre 2022. En un mois, la tendance cumulée de l’indicateur matériaux perd un point, passant de -8,6% à fin octobre à -9,6% à fin novembre.
Quand le bâtiment ne va pas...
Bien que le climat des affaires, mesuré par l’INSEE dans l’industrie du bâtiment, se maintienne juste au-dessus de sa moyenne de longue période en décembre, les signaux d’une poursuite de la détérioration conjoncturelle se confirment, notamment dans le segment du gros œuvre. Dans ce secteur en effet, le solde d’opinion sur l’activité passée se replie sensiblement en décembre tandis que celui sur l’activité prévue s’enfonce plus nettement depuis octobre. Les carnets de commandes se vident graduellement (à 8,7 mois contre 10 il y a un an) et le jugement sur les carnets est désormais repassé bien en-dessous de sa moyenne de long terme. Le repli de l’activité constructive devrait continuer d’affecter le climat des affaires des professionnels du gros œuvre sur une bonne partie de 2024. A fin novembre, sur les trois derniers mois, les mises en chantier de logements chutaient encore de -23,4% sur un an (-19,6% sur douze mois à 294.700 unités !). Même si, du côté des permis, la baisse tend à se modérer, ce qui mérite quand même d’être souligné, (-4% sur les trois derniers mois contre -25,5% sur douze mois), la tendance négative écarte l’hypothèse d’une amélioration de l’activité. Ce d’autant que, du côté du secteur non résidentiel, l’orientation des permis demeure baissière ces trois derniers mois (-8,5% sur un an) en dépit de mises en chantier qui tendent plutôt à se stabiliser (-0,6%). Selon la FFB (Fédération Française du Bâtiment), l’année 2023 devrait se solder par à peine plus de 9 mises en chantier de logements pour 1.000 ménages contre une moyenne de 14, au cours des 35 dernières années, alors même que la population augmente... une situation qui devrait encore s’aggraver cette année avec un ratio de 8 pour 1.000.
La chute des ventes de logements neufs, attisée par la conjonction de facteurs économiques, financiers et politiques (hausse des taux d’intérêt, des prix immobiliers, de l’exigence des banques, baisse de la solvabilité des ménages, suppression du PTZ, sobriété foncière -ZAN...) se poursuit en cette fin année, comme en témoignent les derniers chiffres de Markemétron dans le segment de l’individuel diffus. A fin novembre, les ventes reculaient encore de près de -45% sur un an, laissant le cumul glissant sur onze mois à -38% (soit 61.000 ventes sur un an). Ni l’effet d’aubaine de la fin du PTZ « version 2023 » (avec éligibilité des zones B2 et C et de la maison individuelle) ni la modération des prix des logements neufs, ni l’amélioration de l’offre de crédit bancaire n’ont réussi à ranimer le marché, désormais plombé par une demande défaillante des ménages. La crise du logement affecte évidemment le bâtiment mais elle instille aussi ses effets dans le reste de l’économie, diffusant en amont et en aval des reculs d’activité et déjà une remontée des taux de défaillance d’entreprises, notamment parmi les agences et promoteurs immobiliers. La crainte du chômage et la préférence pour l’épargne vont désormais peser aussi sur la demande en logements des ménages, devenus plus frileux et attentistes en dépit de conditions bancaires et financières mieux orientées. Dans un tel contexte, l’action des pouvoirs publics, par leur capacité à « réarmer » le cycle immobilier en fluidifiant le marché et en resolvabilisant la demande, paraît déterminante pour l’avenir de toute la filière bâtiment et de la croissance économique.
TP : dommages collatéraux de la crise du logement
La situation des travaux publics fait plutôt figure d’exception dans ce tableau assez sombre: selon la FNTP, l’activité affiche en effet une hausse de +4,5% en volume et en glissement annuel sur les onze premiers mois de l’année (données CVS-CJO). Malgré un mois de novembre marqué par les intempéries, les travaux réalisés se sont stabilisés par rapport à octobre (+0,5% en volume) ; quant aux prises de commandes, elles ont bondi en novembre (+142,7% en volume sur un an) pour atteindre un niveau historiquement haut, en raison de l’attribution des gros contrats des réacteurs nucléaires EPR, après ceux du métro toulousain en début d’année puis de la ligne 15 du GPE. En cumul sur onze mois, les marchés conclus grimpent donc de +27,2% sur un an.
Ces grands projets devraient soutenir l’activité des TP tout au long de l’année mais la crise du bâtiment, et son impact négatif sur la clientèle du secteur privé, en freinera la dynamique. Par ailleurs, la faible composante « routière » des travaux (en lien avec des investissements des départements attendus en repli) devrait continuer de peser sur la demande de granulats.
Chiffres clés
Indicateur matériaux
L'activité du panier de matériaux se dégrade nettement en novembre : sur les trois derniers mois, elle perd près de : 13% sur un an !
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