Son matelas et une petite table de nuit tiennent à peine dans sa chambre. Ils sont déjà près de dix à cohabiter dans ce logement de 200 mètres carrés conçu pour vingt personnes, qui compte une cuisine, un salon, des douches et une terrasse ensoleillée. Loyer mensuel: 200 euros charges comprises.
"Pour moi, c'est un logement digne", assure ce camionneur autrichien de 42 ans, qui vient de se réinstaller dans la ville où il a déjà vécu six ans. "Je suis propre, je mange à ma faim, je dors bien. Je peux déambuler dans la rue comme n'importe qui".
La mairie de gauche de Barcelone, en guerre contre la spéculation immobilière, n'est pas du même avis: elle a interdit à l'entreprise espagnole Haibu, dont le siège est aux Pays-Bas, de louer ces logements et l'a obligée à fermer un local d'exposition.
Face à cette interdiction, Haibu ("ruche" en japonais) a décidé de développer son projet dans l'illégalité.
Par crainte d'être repérés, ses dirigeants font accéder à leur première "ruche" à Barcelone par un local commercial et mettent leur téléphone en mode avion. A l'intérieur, en travaux, les volets sont fermés, cachant les locataires.
A l'exception des petits habitacles en bois aggloméré servant de chambres, il y a peu de meubles: seules quelques vieilles tables et chaises dépareillées dans les espaces communs et des armoires, une par locataire, beaucoup trop grandes pour rentrer dans les chambres.
"Mieux que la rue"
Dans la cuisine, Hector Cabañol se prépare un café soluble. Il fait chauffer de l'eau dans un micro-ondes, faute de cuisinière.
"C'est bien pour un temps, en attendant de trouver mieux", reconnaît cet électricien de 36 ans, divorcé depuis un an. Il touche 800 euros par mois pour un travail à mi-temps, dont 600 partent dans la pension alimentaire de ses filles et le prêt immobilier qu'il paye toujours avec son ex-femme.
"Si je n'avais pas ça, je ne sais pas ce que je ferais, vraiment. Je m'en sortais jusqu'ici avec mes économies mais je n'ai plus rien. Je préfère ça qu'être à la rue", affirme-t-il.
Selon des chiffres des autorités régionales, le loyer moyen fin 2018 dans la deuxième ville d'Espagne était de 954,29 euros, 40% de plus que fin 2013. Sur les principaux sites immobiliers, le prix pour une chambre descend rarement en deçà de 300 euros.
Beaucoup d'emplois sont peu rémunérés: 30% des personnes en ayant un touchent moins de 1.230 euros par mois. Trouver ou garder un logement avec de tels salaires est ardu.
L'Espagne a dénombré plus de 37.000 expulsions pour loyers impayés en 2018, selon des statistiques officielles, 9% de plus qu'il y a deux ans. Et à Barcelone, plusieurs associations caritatives assurent avoir noté une augmentation du nombre de sans-abri, conséquence entre autres de la hausse des loyers.
"Tout n'est pas permis"
Problème de ces "appartements-ruches": ils sont interdits par la réglementation sur l'habitat en Catalogne, où une chambre doit faire au minimum 5 mètres carrés. Une surface que les plus grandes chambres d'Haibu n'atteignent pas.
Leur loyer oscille entre 125 et 325 euros, en fonction de leur taille, de leur emplacement et du nombre de locataires dans l'appartement.
Dans les plus petits de ces habitacles en aggloméré, qui font 2 mètres de long, 1,2 de large et 1,2 de haut, et qui peuvent être empilés, il est impossible de se tenir debout.
Pour Janet Sanz, élue chargée de l'urbanisme à la mairie de Barcelone, Haibu fait "d'un droit fondamental une marchandise". "Ce sont des taudis, ce n'est pas un logement digne. Nous sommes en faveur d'une offre bon marché mais tout n'est pas permis", assure-t-elle.
Haibu présente de son côté son projet comme une initiative sociale et assure que sa marge ne dépasse pas 5%.
"Notre but est que les gens ne viennent que pour une brève période, se redressent financièrement et repartent de l'avant", argumente l'un de ses fondateurs, Marc Oliver.
Haibu, qui affirme disposer d'une capacité d'investissement de 1,2 million d'euros et employer 40 personnes, ne peut pas faire de contrats de location. Les locataires versent donc un loyer sous forme de contribution mensuelle à une association qui sert de couverture à l'entreprise.
Le risque de poursuites, la réglementation, "nous n'en avons rien à faire. Après cette ruche, nous allons en ouvrir 17 au total (à Barcelone). Au fur et à mesure qu'on nous les fermera, on en fera d'autres", promet Marc Oliver, qui a pour projet d'autres ruches à Paris, Washington ou Copenhague.