Mais les effets délétères de l’inflation et du resserrement de la politique monétaire sur le pouvoir d’achat et la solvabilité des ménages continuent de se propager dans les différents secteurs de l’économie. La crise immobilière a contaminé l’ensemble de la filière : bâtiment, matériaux, promoteurs, agences, notaires... entrainant dans son sillage un rebond des défaillances d’entreprises et des réductions d’effectifs. Côté matériaux, le début de l’année s’annonce mal. La production de BPE dévisse et l’évolution des permis de construire ne laisse pas augurer de redressement à court terme. Soutenue par le cycle électoral et les chantiers des grandes métropoles, l’activité des TP se porte mieux même si le début de l’année semble marquer une pause... une meilleure orientation qui n’a cependant guère profité au secteur des granulats !
Chiffres-clés
Fin janvier, sur les 3 derniers mois connus, la production de granulats et de BPE s'est contractée de -10% sur un an (données CVS-CJO).
Les livraisons de BPE plongent en janvier
Après un mois de décembre en net rebond par rapport à novembre, les données provisoires de production de matériaux décrivent un fort repli en janvier. Du côté des granulats, l’activité cède -5,5% au regard de décembre (données CVS-CJO) et -7,1% sur un an. Sur les trois derniers mois (novembre à janvier), la production s’inscrit donc en recul de -3% par rapport au trimestre août-octobre et perd -9,9% en comparaison de la même période d’il y a un an. En cumul sur les douze derniers mois, les volumes de granulats affichent une baisse de -7,7%. S’agissant du BPE, la tendance baissière s’accentue davantage ces derniers mois. En janvier, les livraisons ont plongé de -11,1% par rapport à décembre, ce qui laisse le niveau -16,4% en dessous de celui de janvier 2023. Sur les trois derniers mois, l’activité perd encore -3,8% par rapport aux trois mois précédents tandis qu’elle cède -10%, comparé aux trois mêmes mois de 2023. Ainsi, en cumul glissant sur douze mois, la tendance baissière atteint -7,1% à fin janvier, soit quasiment 1 point de moins que trois mois plus tôt (-6,2% fin octobre).
L'indicateur matériaux de l'UNICEM (encore provisoire sur 2023 et janvier 2024) suit cette tendance : après une année 2023 en repli de -9,5%, l’activité du panier représentatif enregistre une chute de -18,8% sur un an en janvier (données CJO). Tout comme les granulats et le BPE, les produits en béton enregistrent un début d’année difficile, confirmant la sévérité de la crise des matériaux qui se profile pour 2024, même si l’activité du mois de janvier a sans doute aussi subi l’effet des intempéries (fortes précipitations, coups de vent...).
Point bas atteint pour les permis ?
La dernière enquête menée par l’INSEE dans l’industrie du bâtiment confirme une détérioration graduelle du climat des affaires en mars. Dans le secteur du gros œuvre, le jugement porté par les professionnels sur les carnets de commandes est désormais repassé en dessous de son niveau moyen de long terme. Quant au niveau de ces carnets, bien qu’il oscille autour de 9 mois depuis un an dans l’enquête INSEE, il ne cesse de reculer depuis 12 mois dans l’enquête menée par la Banque de France qui mesure plutôt les flux de commandes. En tout état de cause, les tensions sur l’offre (approvisionnement, matériel...) ont quasiment disparu ; ne subsistent que les difficultés de recrutement qui prennent de fait un caractère de plus en plus structurel. Les courbes qui mesurent d’un côté les difficultés d’offre et de l’autre les difficultés de demande dans le bâtiment (enquête INSEE), et qui évoluent souvent en miroir, viennent d’ailleurs tout juste de se croiser en mars, les tensions sur la demande prenant désormais le pas sur celles liées à l’offre.
La publication récente des données révisées du ministère montre que, après une baisse de -5% en 2022, les mises en chantier de logements ont reculé de -24% en 2023. Sur les trois derniers mois allant de novembre à janvier, la tendance reste très négative à -23,3% sur un an, laissant le nombre de logements commencés à 291.100 unités, en cumul sur douze mois à fin janvier. Ce repli fait logiquement écho à la chute des permis enregistrée l’an passé et qui se poursuit, certes de façon plus modérée. Ainsi, en 2023, les autorisations ont plongé de -24% sur un an. A fin janvier, sur trois mois, le repli n’est plus que de -2,1% mais la tendance reste très négative sur douze mois (-23,4% pour 369.1000 unités). Cette moindre chute des permis risque toutefois de ne pas perdurer compte tenu de l’état du marché des ventes immobilières.
En effet, au quatrième trimestre 2023, les réservations baissaient encore de -8,9% par rapport au trimestre précédent (données CVS-CJO). Avec un total de 64.500 unités commercialisées par les promoteurs en 2023, c’est près de 40.000 logements en moins par rapport à 2023 (-37,5%) ! Cette tendance est comparable chez les CMistes (constructeurs de maisons individuelles) qui enregistrent un plongeon de leurs ventes de -40,6% sur douze mois à fin janvier (56.300 maisons sur l’année). Et la tendance de janvier ne marque pas vraiment d’amélioration même si, selon Markemétron, le point bas pourrait bien être atteint en ce début d’année 2024. De même, après avoir franchi des planchers historiques, le climat conjoncturel s’éclaircit très légèrement du côté de la promotion immobilière. C’est ce que suggère l’enquête trimestrielle menée par l’INSEE en janvier. Après presque trois ans de dégradation ininterrompue, l’opinion des promoteurs sur la demande de logements neufs et sur les perspectives d’évolution des moyens de financement s’est redressée en janvier. Les soldes d’opinion restent, bien sûr, très en-deçà des niveaux moyens de long terme mais l’inflexion de tendance, encore modeste, mérite d’être soulignée. Elle se constate également dans leurs perspectives des mises en chantier même si les promoteurs demeurent très prudents : ils sont en effet moins nombreux que le trimestre précédent à envisager de mettre à l’étude de nouveaux programmes. En d’autres termes, s’il n’est pas exclu que la demande de logements se réveille grâce à la modération des taux d’intérêt et une offre de crédit bancaire moins restrictive, les conditions pour mettre en place les projets, quant à elles, ne semblent pas encore réunies côté promoteurs (demande en berne, foncier difficile d’accès et très coûteux...). Côté ménages, en dépit d’un repli des taux de crédit depuis décembre (- 33 point de base, soit 3,9% en février, selon l’Observatoire du crédit logement), les intentions de réalisation de projets sont encore hésitantes. L’accès au crédit reste très encadré par la Banque de France et l’évolution des prix du neuf ne permet pas de restaurer la solvabilité dégradée des candidats à l’accession (-0,1% pour les appartements et encore +1,8% pour les maisons en glissement annuel, au quatrième trimestre 2023).
Travaux publics : une pause ?
Après une année plutôt dynamique pour l’activité des TP (+4% en volume en 2023), le mois de janvier marque un coup d’arrêt avec un repli du volume des travaux réalisés de -3,4% par rapport à décembre et de -1,9% sur un an (données CVS-JO). Selon la FNTP, les intempéries, avec un nombre d’heures chômées 1,5 fois supérieur à un mois de janvier normal, peuvent dans certaines régions expliquer ce creux d’activité. Le maintien d’un bon niveau des carnets de commandes et l’optimisme des professionnels pour leur activité à venir suggèrent que cette pause pourrait être temporaire. Toutefois, les annonces d’économies budgétaires (1 Md€ d’annulation potentielle de crédits de l’Etat pour financer la transition écologique), couplées au risque des retombées de la crise immobilière sur les investissements privés, pourraient, à terme, peser sur la dynamique d’activité du secteur.
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