Depuis l'arrivée au pouvoir d'Emmanuel Macron en 2017, le portefeuille du Logement a changé de titulaire et de périmètre à chaque remaniement, quand il n'a pas tout simplement disparu.
Cette fois, à l'ancien maire de gauche de Clichy-sous-Bois succède un duo: chargé du Logement, le maire de Dunkerque Patrice Vergriete, et chargée de la Ville la députée marseillaise Sabrina Agresti-Roubache.
Peu connus, les deux décrochent leur premier poste au gouvernement. Mais le fait qu'ils soient séparés suscite déjà quelques craintes.
"Au-delà des personnes, ce qui nous préoccupe un peu, c'est le fait d'avoir scindé les deux", s'inquiète Christophe Robert, délégué général de la Fondation Abbé Pierre.
Qui, par exemple, va s'occuper de l'Agence nationale de la rénovation urbaine (Anru), instrument-clé de la politique de la ville mais lié de très près au monde du logement social?
Emmanuelle Cosse, présidente de l'Union sociale pour l'habitat (USH) qui représente les bailleurs sociaux, s'est dite "scandalisée" par le rattachement du ministère de la Ville au ministère de l'Intérieur plutôt qu'à celui de la Cohésion des territoires.
"C'est fou, c'est une régression totale. J'ai l'impression que c'est une droitisation très forte de la vision de la ville, et surtout, ça dénote que ce gouvernement ne comprend rien aux enjeux de la ville", s'insurge-t-elle.
A contre-courant, Loïc Cantin, président de la Fédération nationale de l'immobilier (Fnaim), se félicite de la séparation des portefeuilles de la Ville et du Logement "parce que les nombreux enjeux liés au logement nécessitaient un ministère de plein exercice".
"Pas très rassurant"
Mais au-delà de l'architecture du gouvernement et des personnalités nommées, "la question qui s'est posée avec le ministre Klein et qui va se poser avec le ministre Vergriete, c'est quel poids pour pouvoir porter une politique du logement, et quelle est l'intention de l'exécutif ?", s'interroge Christophe Robert. "On est dans un grand flou, et évidemment, ce n'est pas très rassurant".
"Ce que nous a montré cette première année de gouvernement Borne, c'est que le sujet n'est pas que la compétence des ministres en place, le sujet c'est est-ce qu'ils pèsent dans les arbitrages ?", relève Emmanuelle Cosse.
Car au fil de ses douze mois au ministère, Olivier Klein, pourtant bon connaisseur de la politique de la ville et du logement, a peiné à exister face au ministère de l'Economie, qui, sous la présidence d'Emmanuel Macron, a multiplié les coupes budgétaires dans le secteur.
"Bruno Le Maire a été odieux avec lui", juge un député de la majorité, pour qui "Bercy a profité du fait qu'on n'a pas de politique du logement".
"Il n'a pas porté de projet de loi, il doit s'en mordre les doigts", commente cet élu macroniste.
Le Conseil national de la refondation (CNR) dédié au logement, voulu par le président de la République, a mis au travail tous les acteurs pendant sept mois, qui ont émis une batterie de propositions jamais rendues publiques.
Quasiment aucune n'a été retenue par l'exécutif.
Pire, à la conclusion du CNR, le gouvernement a annoncé la suppression de la niche fiscale Pinel et le recentrage du prêt à taux zéro, soutiens de la construction neuve. Bruno Le Maire s'est targué d'économiser ainsi 2 milliards d'euros.
Des associations de solidarité aux organisations patronales, la déception a été unanime.
"Je ne le regrette pas, ce moment de concertation, de partage inédit", a commenté vendredi Olivier Klein, ému aux larmes, en transmettant le portefeuille de la Ville à la députée marseillaise Sabrina Agresti-Roubache. "Ce CNR pose les bases (...) du logement pour tous".
Pour le budget 2024, Bercy a toutefois assumé de cibler en priorité le logement pour faire des économies.
"On ne peut pas répondre uniquement aux directives de Bercy qui entend faire main basse et réduire la politique du logement à une petite ligne budgétaire", appuie Loïc Cantin. Pour lui, Patrice Vergriete devra "être magicien" s'il veut l'éviter.
Patrice Vergriete, l'homme fort de Dunkerque nommé au Logement
Patrice Vergriete, nommé jeudi ministre du Logement, était depuis près de dix ans le maire de Dunkerque (Nord), où ce polytechnicien issu d'un milieu populaire, classé "divers gauche", s'est solidement installé et apparaît comme un rempart au RN.
M. Vergriete était également président de l'agglomération de cette sous-préfecture industrielle, tenue 25 ans par le baron socialiste Michel Delebarre, et dont il fut l'adjoint.
Entré en dissidence sous les couleurs "divers gauche" en 2014, il avait ravi la mairie à son mentor, avant de se faire réélire en 2020 avec plus de 64% des suffrages recueillis dès le premier tour. Une performance remarquée dans une région marquée par l'inexorable avancée du Rassemblement national.
Le maire peut par ailleurs s'enorgueillir d'une chute du taux de chômage dans sa zone d'emploi, passé de 11,7% en 2014 à 8,6% fin 2021. Mieux: il est parvenu à changer l'image de sa ville en l'ouvrant avec succès au tourisme.
Courtisé par la macronie, Patrice Vergriete avait jusqu'alors voulu cultiver une certaine indépendance.
Celui qui s'est illustré pour avoir doté sa ville du plus vaste réseau de transports gratuits en Europe avait pris en novembre la tête de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afit), un établissement sous tutelle de l'Etat chargé de coordonner le financement de grands projets d'infrastructures de transport.
Né dans un quartier populaire de Dunkerque il y a 55 ans, le nouveau membre du gouvernement est le fils d'un ouvrier chaudronnier du chantier naval et d'une mère au foyer.
Diplômé de Polytechnique et des Ponts et chaussées après une prépa scientifique au lycée parisien Louis-le-Grand, ce spécialiste de l'urbanisme avait débuté sa carrière à l'OCDE, avant d'intégrer les cabinets des socialistes Martine Aubry et Claude Bartolone sous le gouvernement Jospin.
En 2000, il était devenu directeur de l'Agence d'urbanisme de Dunkerque, avant de travailler pour le Conseil général de l'environnement et du développement durable (2008-2012).
Chantre de l'industrie décarbonée grâce à un mix entre nucléaire et énergies renouvelables, le maire de Dunkerque était parvenu à faire labelliser sa ville "territoire d'innovation" par l'Etat et bénéficier d'un plan d'investissement de près 300 millions d'euros pour mettre en œuvre un programme de transition écologique.
Le gouvernement avait notamment annoncé un vaste plan d'investissements pour décarboner la production d'acier au sein de l'usine d'ArcelorMittal, ou encore l'implantation de trois usines de production de cellules de batterie bas-carbone, de batteries de nouvelle génération dites "solide" et de matériaux de cathodes pour les batteries lithium.
Se disant engagé pour une "transition écologique et sociale", M. Vergriete soutient le projet de parc éolien offshore au large du littoral, contesté par plusieurs associations locales.
Ses prises de position en faveur de l'installation de deux réacteurs EPR dans la commune voisine de Gravelines, et son soutien affiché à la candidature d'Emmanuel Macron à l'élection présidentielle de 2022, lui avaient valu le départ des élus EELV de la majorité municipale.
La réaction des professionnels du bâtiment
La FFC
La Fédération Française des Constructeurs de maisons individuelles se félicite de la nomination du Maire de Dunkerque, Patrice Vergriete, en tant que nouveau ministre du Logement. « Nos espérances sont à la hauteur de la déception des mois écoulés ».
La construction neuve est très mal considérée par les Pouvoirs Publics depuis quelques mois, voire quelques années maintenant. La maison individuelle l’est encore plus alors que 84% des Français espèrent pouvoir un jour devenir l’heureux propriétaire d’une maison avec un petit jardin.
Pour Damien Hereng, Président de la FFC : « Alors nous vous souhaitons le meilleur dans cette nécessaire réconciliation et écoute entre les professionnels et nos décideurs politiques. Les professionnels sont confrontés au quotidien à la nécessité de construire des lieux de vie qui correspondent aux attentes et besoins des Français. Les propositions sont nombreuses pour redonner de la dynamique à un secteur qui subit une crise sans précédent et nécessite la prise de mesures urgentes ! »
La FPI
Pour Pascal Boulanger, Président de la FPI : « Le Logement connaît une grave crise multifactorielle sur laquelle le gouvernement ne peut plus fermer les yeux. L’annonce d’un ministère délégué entièrement consacré à cette problématique est positive. J’adresse tous mes vœux de réussite à Patrice Vergriete dans l’exercice de ses nouvelles fonctions ministérielles. Je connais son action : c’est un maire ancré dans la réalité des territoires, parfaitement éclairé sur les attentes de nos concitoyens et très directement concerné par le logement des salariés de la future gigafactory de Dunkerque. Au regard du développement économique fulgurant de sa ville, je ne doute pas qu’il déploiera la même énergie au niveau national pour juguler la crise du logement avec des mesures puissantes et rapides, à la hauteur des enjeux. Comme toujours, il pourra compter sur l’engagement des professionnels à ses côtés. J’espère également que la nomination de Thomas Cazenave au ministère du budget, que je salue, permettra de nourrir un dialogue aussi utile que nécessaire avec Bercy. Lors de nos rencontres en juin dernier, au Congrès de la FPI puis au Colloque sur la décentralisation du logement qu’il organisait, j’avais alors insisté sur ce qui me semble être la mère de toutes les batailles : «veut-on encore construire en France ?» Ce sera ma première question à Messieurs Vergriete et Cazenave, quand je les rencontrerai. L’heure n’est plus à une approche comptable de la politique du logement mais à des décisions politiques courageuses pour redonner les moyens à nos concitoyens de se loger décemment. »
La FOPH
La Fédération des OPH a hâte de rencontrer le nouveau ministre du Logement, tant les sujets d’actualité sont nombreux et intenses en ce qui concerne la production et la rénovation des logements en général, et des logements HLM en particulier. La FOPH se tient dès aujourd’hui à sa disposition pour échanger sur ces enjeux majeurs.
La Fédération espère que sa longue expérience d’élu local, contribuera à faire avancer la nécessaire décentralisation des politiques du logement et de l’habitat, notamment en élargissant les compétences des autorités organisatrices de l’habitat (AOH) et en les dotant d’un financement dédié pour le logement social pour, notamment, améliorer le lien entre l’emploi et l’accès au logement.
La FOPH est impatiente d’échanger avec le nouveau ministre du Logement sur les défis de l’accélération de la production et de la rénovation. La FOPH est prête à se mobiliser à ses côtés pour atteindre les objectifs ambitieux qui sont les siens, et qui sont également ceux de la Stratégie nationale bas carbone.
Pour Marcel Rogemont, président de la Fédération des OPH : « Je remercie Olivier Klein, pour nos échanges et nos tentatives d’avancer sur un pacte de confiance. Je salue la nomination de Patrice Vergriete, avec lequel j’espère travailler activement sur tous les sujets liés au logement social, afin de juguler la baisse des investissements et de trouver les voies d’un accord ambitieux pour loger plus et mieux nos concitoyens. »
La FFB
La FFB prend acte du remaniement qui concerne particulièrement le bâtiment. Elle appelle le nouveau ministre du Logement Patrice Vergriete à saisir rapidement la mesure de la crise qui s’aggrave dans le logement neuf. Par ailleurs, elle salue la nomination d’une secrétaire d’Etat à la Ville, Sabrina Agresti-Roubache vu les tensions urbaines récentes. Elle félicite Philippe Vigier, nouveau ministre délégué aux Outre-mer car les défis sont nombreux.
Au moment où les parcours résidentiels se bloquent partout, la France a besoin d’une véritable politique du logement. Il faut un nouveau cap qui intègre les enjeux de transition écologique et d’aménagement du territoire, en particulier en matière de foncier.
À quelques semaines des discussions concernant le projet de loi de finances 2024, la FFB rappelle ses demandes prioritaires : le rétablissement du prêt à taux zéro (PTZ) neuf dans son format de 2017 et la révision des barèmes, le déploiement d’un dispositif type « Pinel 2022 » dans l’attente de la mise en place d’un statut du bailleur privé et la pérennisation du crédit d’impôt en faveur de la rénovation énergétique des locaux des TPE-PME.
Ces mesures urgentes constituent une première marche essentielle. Le secteur a également besoin de visibilité sur l’ensemble de ces missions, en matière de rénovation et de construction. Ce sont deux piliers indissociables. Comme elle l’a toujours fait, la FFB poursuivra ses combats au service des entreprises de toutes tailles et portera des propositions concrètes, utiles aux Français.
Olivier Salleron, président de la FFB, attend des actes forts du gouvernement et rencontrera rapidement les nouveaux ministres : « Déçue par les conclusions du CNR logement, la FFB a fortement alerté sur les risques sociaux et économiques. De nombreuses propositions conjoncturelles et structurelles sont sur la table. Il faut désormais les mettre en œuvre. »