Il s'agit des premières gardes à vue dans cette enquête ouverte pour "financement d'entreprise terroriste" et "mise en danger de la vie d'autrui" et menée depuis juin par trois juges d'instruction.
Les investigations s'attachent à déterminer si le géant du ciment a transmis de l'argent à des organisations jihadistes, notamment l'EI, pour continuer à faire fonctionner en 2013 et 2014, malgré le conflit, son usine de Jalabiya (nord du pays). Lafarge, qui a fusionné en 2015 avec le suisse Holcim, est aussi soupçonné d'avoir acheté du pétrole à différentes factions armées, là encore pour que ces dernières lui permettent de poursuivre son activité.
Parmi les gardés à vue, entendus dans les locaux du Service national de douane judiciaire (SNDJ), deux anciens directeurs de l'usine: Bruno Pescheux, à la tête de la cimenterie de 2008 à 2014, et Frédéric Jolibois qui a repris la direction du site à partir de l'été 2014, ont indiqué à l'AFP des sources proches du dossier.
A l'issue de ces auditions, révélées par France Inter, les gardés à vue peuvent être remis en liberté sans être poursuivis ou présentés aux juges d'instructions en charge du dossier, en vue d'une éventuelle mise en examen.
Entendu en janvier, dans le cadre d'une audition libre, par les enquêteurs du SNDJ, Bruno Pescheux était revenu sur le choix de Lafarge de maintenir son activité en Syrie, contrairement au pétrolier Total ou à d'autres multinationales qui avaient quitté le pays.
"On faisait vivre directement et indirectement 5.000 personnes", s'était-il justifié, d'après une des sources proches du dossier. L'idée était aussi "d'éviter la cannibalisation de l'usine, qui serait arrivée si elle avait été perçue comme à l'abandon".
Continuer à faire tourner la cimenterie, dont la production s'était effondrée à mesure que la situation se dégradait, avait un prix: la branche syrienne du groupe (Lafarge Cement Syria, LCS) monnayait la sécurité de ses employés en versant "de 80.000 à 100.000 dollars" à un intermédiaire, Firas Tlass, ex-actionnaire minoritaire de l'usine, qui ventilait ensuite les fonds entre différentes factions armées, d'après Bruno Pescheux. Cela représentait pour l'EI "de l'ordre de 20.000 dollars" par mois, avait précisé l'ex-directeur.
Quant à Frédéric Jolibois, auditionné en février, il avait reconnu avoir acheté du pétrole "à des organisations non-gouvernementales (...) en toute illégalité".
Aval des autorités françaises ?
Outre MM. Jolibois et Pescheux, plusieurs autres responsables du cimentier et de sa filiale syrienne ont été entendus début 2017 par les douanes judiciaires, notamment Bruno Lafont, ex-PDG du groupe, et Eric Olsen, directeur général démissionnaire de LafargeHolcim.
Ces auditions avaient conduit le SNDJ à rendre un rapport accablant pour la direction française qui, selon ce document dont l'AFP a eu connaissance, "a validé" les remises de fonds aux groupes jihadistes "en produisant de fausses pièces comptables".
Les auditions suggéraient aussi que la décision du cimentier de rester en Syrie avait reçu l'aval des autorités françaises: M. Jolibois expliquait ainsi avoir été "régulièrement en contact avec le Quai d'Orsay et la DGSE".
L'enquête doit aussi s'attacher à déterminer si le groupe a tout fait pour assurer la sécurité de ses employés syriens, restés seuls sur place alors que la direction de l'usine avait quitté Damas pour Le Caire à l'été 2012 et que, quelques mois plus tard, les expatriés avaient été évacués par vagues successives. L'EI avait finalement pris le contrôle de la cimenterie en septembre 2014.
Les investigations se sont accélérées ces dernières semaines. Outre la perquisition, trois ex-employés syriens ont été entendus fin septembre.
Sollicité, LafargeHolcim n'a pas souhaité faire de commentaires.