Différentes évolutions législatives récentes abordent la compensation (loi industrie verte, projet de loi dit de simplification de la vie économique, projet de loi agricole). Si nous vivons actuellement un temps suspendu, force est de constater que ces réformes en cours ne s’accompagnent pas d’une réflexion globale sur les politiques en matière d’environnement et de biodiversité.
Un groupe de travail pour des propositions concrètes
« Le Lifti souhaite profiter de ce projet de refonte des règles en matière de compensation pour repenser le système en profondeur. Afin d’être réellement efficace et de revêtir les caractéristiques d’un véritable outil d’amélioration voire de régulation vertueux des projets d’aménagement et de développement, la compensation des atteintes à la biodiversité doit être repositionnée au centre du processus, et cesser de graviter à sa périphérie », estime le groupe de travail du think tank piloté par Christophe Barbara.
Une telle logique implique une évolution des pratiques et des paradigmes, afin que les porteurs de projet et les acteurs concernés n’abordent plus « l’environnement » de façon négative et considèrent l’obligation de réaliser une étude d’impact comme une réelle opportunité d’améliorer leurs projets, plans et programmes. « Nous souhaitons tirer des leçons au regard de ce qui nous a été révélé par l'expérience depuis le renforcement du cadre juridique de la compensation écologique aux articles L. 163–1 et suivants du code de l'environnement, par la loi biodiversité de 2016. Et forts de cela, repenser le modèle actuel pour le rendre effectif, pour que les projets puissent se réaliser dans des conditions économiques viables, tout en garantissant le plus haut niveau de protection de l'environnement ».
Un système actuel peu efficace ?
Une étude scientifique publiée en février dans la revue numérique Cybergéo, menée par des chercheurs du Museum national d'histoire naturelle et des universités de Tours et Leeds, souligne les insuffisances de l’approche actuelle de la compensation écologique. A l’aide d’une base de données nationale, les chercheurs observent que les mesures compensatoires consistent généralement en des actions dont la plus-value écologique semble en décalage avec la destruction engendrée. L’une des limites évoquées relève du choix des terrains où ont lieu ces compensations. Ils sont jugés comme ayant déjà une bonne intégrité biophysique et d’une surface insuffisante et trop fragmentés pour pouvoir apporter une réelle plus-value écologique, alors que « les gains sont plus importants lorsque les actions visent à rétablir les fonctions écosystémiques variées sur des espaces dégradés à large échelle ». Ce constat a pu être partagé par les différents participants aux ateliers de réflexion dont les porteurs de projet pour lesquels le choix des sites relevait davantage, de manière pragmatique, de critères économiques et pratiques qu’écologiques.
De quoi justifier une refonte du cadre institutionnel permettant de flécher les compensations sur des sites dégradés et plus adaptés. A contrario, les différentes évolutions législatives récentes abordant la compensation (loi industrie verte, projet de loi dit de simplification de la vie économique, projet de loi agricole) ne s’accompagnent pas d’une réflexion globale sur les politiques en matière d’environnement et de biodiversité.
Mieux répartir les responsabilités
Si mieux choisir les terrains dégradés et anticiper leur maîtrise foncière apparaît comme primordial pour une compensation efficace, cela ne peut être suffisant. Le Lifti pointe aussi du doigt le fait que le système de compensation écologique soit aujourd’hui trop verrouillé en matière de gouvernance. L'article 163–1 II du code de l'environnement prévoit que même si le maître d'ouvrage choisit de déléguer la réalisation de la compensation à un tiers, il ne pourra pas transférer sa responsabilité administrative ; il reste seul responsable face à l’autorité administrative y compris dans plusieurs décennies. Ce qui engendre des difficultés opérationnelles. En effet, certains acteurs sont réticents à s'engager dans la production de sites clé en main pour des projets d'investissement, sachant qu'ils resteront administrativement responsables. L’enjeu de la pérennisation des mesures de compensation est ici posé.
Le groupe de travail envisage notamment l’option d’un « mécanisme de transfert du site, sous conditions, vers un opérateur compétent chargé de sa gestion, à l’image de ce que font les conservatoires des espaces naturels, le conservatoire du littoral ou certaines collectivités détenant des compétences au titre de la gestion des espaces naturels, comme les Départements avec les espaces naturels sensibles (ENS) ». Par ailleurs, il a été noté l’importance de structurer un système de compensation par l’offre réellement opérationnel.
Perte de temps vs opportunité de faire mieux
Le facteur temps est essentiel dans un projet. Au-delà des contraintes juridiques, économiques, techniques et opérationnelles, les procédures environnementales allongent les temps d’élaboration et d’instruction des demandes, ce qui constitue l’une des raisons pour lesquelles les maîtres d’ouvrage les abordent avec une réticence certaine.
Fort de ce constat, le cycle de réflexion initié par le Lifti a débouché sur l’élaboration d’une approche systémique axée sur les cinq temps d’un projet, en intégrant à chaque étape les éléments de la séquence ERC et, en conséquence, la compensation des atteintes à la biodiversité. Ainsi, une bonne anticipation des impacts et des mesures correctives dans toutes leurs dimensions le plus en amont possible du projet offrira un cadre plus lisible des enjeux et actions envisagées pour l’ensemble des acteurs concernés. Le mécanisme de compensation pourra pleinement jouer son rôle de démarche d’amélioration des projets et de processus de régulation de ces derniers.
L’ensemble de ces propositions est mis à disposition des élus et des acteurs du marché dès aujourd’hui. Le Lifti prépare déjà un approfondissement de ces travaux, dans le but de tendre à un modèle toujours plus vertueux, écologiquement comme économiquement.
Ce débat sera prolongé lors de la prochaine édition des Assises nationales du foncier et des territoires, les 10 et 11 octobre au Centre des Congrès de Nancy. Ce sera la thématique de l'un des parcours de conférences organisé par le Lifti à cette occasion.
Focus : Les 5 phases d'un projet, comme autant d’opportunité de penser la compensation
Les propositions issues du cycle de réflexion porté par le LIFTI portent sur l’ensemble du dispositif de la compensation des atteintes à la biodiversité et sont présentées selon le séquençage en cinq phases susmentionné.
Exemples de pistes proposées
En phase 1
- Renforcer les outils de maitrise foncière de manière spécifique à la compensation et sécuriser le recours à la DUP afin de permettre, tant que de besoin, l’expropriation des terrains sur lesquels il apparaît nécessaire de réaliser des mesures de compensation des atteintes à la biodiversité ;
En phase 2
- Structurer, harmoniser et rendre interopérables les bases de données foncières et territoriales aux échelles les plus pertinentes pour chacun des acteurs et pour en faciliter l’exploitation et les analyses ;
En phase 3
- Clarifier le régime de responsabilité lorsque le maître d’ouvrage confie la réalisation des mesures compensatoires à un tiers compétent (quid en cas de défaillance ou de non atteinte des objectifs du fait d’une négligence ou d’une erreur commise par ledit tiers ?)
En phase 4
- Modifier la législation applicable de façon à ce qu’elle précise désormais la possibilité de transférer, sous conditions, la responsabilité du maître d’ouvrage à un tiers (structure publique ou parapublique, de préférence) dès le démarrage de la phase de suivi et de gestion, selon des modalités à définir ;
En phase 5
- Envisager un mécanisme de transfert du site, sous conditions, vers l’opérateur compétent chargé de sa gestion, à l’image de ce que font les conservatoires des espaces naturels, le conservatoire du littoral ou certaines collectivités détenant des compétences au titre de la gestion des espaces naturels, comme les Départements avec les espaces naturels sensibles (ENS) ;
- Sanctuariser les espaces de compensation en recourant à des outils de protection ou de préservation forts (site classé, réserves naturelles, Natura 2000, Parcs, etc.) ou dédiés aux sites de compensation (servitude environnementale…) ;
Ou encore
- Partager les enjeux de la compensation écologique entre les maîtres d’ouvrage et territoires concernés (collectivités locales, départements, etc.).
* porteurs de projets publics et privés, grands propriétaires fonciers, plateformes industrielles, bureaux d’études, aménageurs, experts du foncier et des territoires, avocats et juristes, etc.