"J'avais bien peur de ne pas pouvoir livrer mon client qui va construire une extension de maison individuelle cet été, alors j'ai anticipé la commande" explique Mikael Lopes, PDG du négoce de matériaux AP situé à Poigny en Seine-et-Marne, à une heure à l'est de Paris.
Pour ses clients, candidats à la maison individuelle, Benoit Cuvelé, entrepreneur de maçonnerie à Douy-la-Ramée, à quelques kilomètres de là, résume la situation: "Ce n'est pas une année pour construire, ça va vous coûter plus cher et ça va durer plus longtemps."
Car à l'exception des parpaings, "tout manque": bois, laine de verre, plaques de plâtre, ferraille, et même carrelages ou conduites d'eau et fenêtres en plastique PVC.
Dans le réseau Tout Faire, qui approvisionne les artisans de la construction en France et en Belgique, les délais de livraison "se comptaient en jours avant le Covid, aujourd'hui ils sont en mois" ajoute M. Lopes. Et les prix s'envolent, d'entre 30% et 100% selon les matériaux, selon lui.
Les États-Unis "achètent beaucoup de bois en Europe, plus cher et en gros volume du fait de la reprise économique là bas, et nous on manque de bastaings, de madriers, de dalles de plancher", dit-il.
Côté ferraille, c'est la Chine qui rafle "tout l'acier", "alors que les Européens sont soumis à des quotas".
Dans son hangar de stockage, où 200 artisans du bâtiment de la région de Meaux viennent s'approvisionner, les tas de bois s'amenuisent dangereusement.
"Normalement, ce stock correspond à 15 jours de réserve". Or, il va falloir qu'il tienne jusqu'à fin septembre: "les fournisseurs ne prennent même plus les commandes." M. Lopes avoue ne pas très bien savoir comment vont faire les entreprises du bâtiment pendant les gros mois de construction que sont juin et juillet.
Chômage partiel sur les chantiers ?
"S'il y a trop de ruptures d'approvisionnement, il va y avoir du chômage partiel" sur les chantiers, craint-il.
Seule la crise financière de 2008 avait eu autant d'impact, mais pas de la même manière: "En 2008, on avait les matériaux et pas les chantiers. Là, on a les chantiers et pas les matériaux", résume l'entrepreneur Benoit Cuvelé.
En ce moment, ses clients, des particuliers qui souhaitent bâtir une maison individuelle, n'ont que "deux semaines pour accepter un devis ou le refuser". "Au delà, on ne peut pas s'engager sur les prix", explique l'artisan.
Les raisons de cette crise historique? Outre la razzia des achats internationaux, la baisse de la production de matériaux pendant la pandémie en raison des contraintes sanitaires dans les usines de fabrication, et les ruptures de chaînes logistiques.
"Il y a des pénuries de containers pour importer en Europe, ils sont tous pris d'assaut en Asie", indique à l'AFP Eric Quenet, directeur général de l'association PlasticsEurope qui regroupe les fabricants de plastiques européens.
Le tout coïncide avec une forte augmentation de la demande, portée par le lancement de grands plans de rénovation ou de chantiers d'isolation thermique dans le cadre de plans de relance économique en Europe.
Récemment, même les produits de base fabriqués localement, sans importation, comme les briques ou le béton ont subi des hausses de prix allant de 2% à 20%, souligne la Fédération européenne des négociants en matériaux de construction (UFEMAT).
Elle veut néanmoins croire à "un changement drastique de situation à la fin de l'année et l'an prochain, lorsque les consommateurs vont recommencer à dépenser dans des activités de loisirs aux dépens de leurs investissements d'intérieur", selon une réponse écrite envoyée à l'AFP par ses deux dirigeants, Marnix Van Hoe et John Newcomb.
Les grands groupes de matériaux, comme Saint-Gobain, ont profité à plein de l'engouement pour la construction et de l'envolée des prix, en affichant des résultats "record" au premier semestre.
M. Lopes aussi avoue avoir eu une "excellente année" 2020, comme l'ensemble de son réseau, classé "commerce prioritaire" pendant la pandémie.