La commission Environnement du Parlement européen se prépare à adopter lundi et mardi ses positions sur sept des quatorze textes de la feuille de route proposée en juillet 2021 par la Commission européenne ("Fit for 55") pour réduire de 55% d'ici 2030 par rapport à 1990 les émissions de gaz à effet de serre de l'UE.
Axes majeurs: l'élargissement controversé du marché du carbone européen (ETS) au transport routier et au chauffage résidentiel, et la disparition des quotas gratuits accordés aux industriels européens, à mesure que seront taxées les importations de secteurs polluants (acier, aluminium, ciment, engrais, électricité) sur base du prix du CO2.
Les eurodéputés devraient endosser cette semaine le compromis déjà conclu entre groupes politiques. Après approbation en séance plénière début juin, cela constituera la position du Parlement lors des négociations avec les États pour finaliser les textes.
"Cette réforme du marché carbone est le navire amiral de la réglementation climatique", observe Pascal Canfin (Renew, libéraux), président de la commission Environnement.
Actuellement, le marché carbone européen, où s'échangent depuis 2005 les "permis à polluer" que doivent acheter certains secteurs (industrie, énergie) représente seulement 40% des émissions des Vingt-Sept.
Les eurodéputés approuvent l'élargissement aux transports et au bâtiment mais veulent le cantonner d'abord aux professionnels (chauffeurs routiers, immeubles de bureaux), à partir de 2025, avant d'évaluer en 2026 s'il est nécessaire de l'imposer aussi aux particuliers (voitures, logements). Le cas échéant, ce ne serait qu'à partir de 2029.
"C'est un sujet politiquement sensible dans un contexte de prix d'énergie élevés" sur fond de guerre en Ukraine, et alors que "l'immense majorité de la consommation de carburant est contrainte" pour les ménages, fait valoir Pascal Canfin.
"Message très clair"
Le projet de Bruxelles obligerait les fournisseurs de carburants et fioul domestique à acheter des quotas d'émissions sur un second marché du carbone, au risque de répercuter ce surcoût sur les ménages: une partie des États s'y oppose déjà, redoutant des contestations populaires en dépit du fonds social proposé par la Commission.
Peter Liese (PPE, droite), négociateur du Parlement et favorable à l'inclusion rapide des particuliers au marché carbone, regrette un "compromis douloureux" mais se félicite que son idée d'un "bonus-malus" ait été retenue.
"Les entreprises qui émettent beaucoup moins recevront des quotas (gratuits) supplémentaires, mais les mauvais élèves ne faisant aucun effort pour se décarboner paieront une facture plus élevée", explique-t-il, saluant aussi l'accord pour gonfler le "fonds pour l'innovation climatique" soutenant les investissements.
"Les entreprises qui prennent les devants seront récompensées, le message est très clair", abonde Michael Bloss (Verts), évoquant "un succès pour le climat, l'industrie et les citoyens".
Les eurodéputés s'entendent aussi pour accélérer l'inclusion du transport maritime dès 2024 (la Commission proposait 2027), faire payer aux compagnies aériennes dès 2025 la totalité du carbone émis sur les vols intérieurs comme les vols internationaux au départ de l'UE, et imposer des quotas d'émissions pour l'incinération des déchets.
Décarbonation
Par ailleurs, ils devraient voter pour mettre en place dès 2025 l"ajustement carbone aux frontières" sur les importations, avec une application complète en 2030, plus rapidement que la montée graduelle proposée par la Commission (2026-2035).
Pour rester dans les clous de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), les eurodéputés proposent d'éliminer complètement dès 2030 (contre 2036 dans le plan initial) les quotas gratuits offerts dans l'UE aux secteurs concernés par la taxe aux frontières... tandis que les quotas aux autres secteurs seraient conditionnés à des plans de décarbonation.
Ce calendrier accéléré devrait être âprement négocié avec les États, soucieux de ne pas déstabiliser la compétitivité de l'industrie européenne.
Ces votes parlementaires, scrutés par les ONG environnementales, interviennent alors que Bruxelles dévoilera mercredi le deuxième volet de son plan pour éliminer d'ici 2030 la dépendance de l'UE aux hydrocarbures russes, notamment en relevant l'objectif pour la part des renouvelables dans le mix énergétique européen.
Avec cette conjonction "on a la possibilité d'accélérer le Pacte vert (de l'UE) de manière significative", commente M. Canfin.