Depuis quelques mois, Stéphane Payen, qui dirige une entreprise de menuiserie à Saint-Paul-les-Romans (Drôme) avec 10 salariés, fait très attention à la date de ses devis. "Avant, ils étaient valables trois mois. Maintenant, pas plus d'une semaine", déclare-t-il à l'AFP.
Une semaine, c'est un temps suffisant pour voir le prix du bois grimper encore et alourdir le coût de ses travaux.
"Les bois exotiques sont introuvables. Les pins sylvestres d'Europe sont une denrée rare: on en trouve mais, si on demande trois colis, on n'en aura qu'un, et il faut attendre trois mois pour être livré, au lieu d'une semaine. Et ils sont bien plus chers, les prix ont doublé depuis le début de l'année", complète-t-il.
Idem pour Ludovic Templé, maçon indépendant dans la banlieue d'Orléans: les prix de la ferraille n'ont cessé d'augmenter depuis "un an et demi et d'au moins 60%".
"Au moins, j'arrive à gérer avec mes différents chantiers pour ne pas devoir les arrêter", dit-il, au contraire d'autres artisans qu'il croise. Mais leur retard pourrait se répercuter sur son activité, craint-il.
Chantiers suspendus
Balloté entre la forte reprise mondiale, après la mise à l'arrêt de l'économie, et la désorganisation des chaînes d'approvisionnement, le bâtiment est confronté depuis plusieurs mois à une tension sur des matières premières cruciales, comme le bois, l'acier, le cuivre ou même le plastique.
Faire les charpentes, monter des fenêtres avec du PVC ou de l'acier, installer des tuyaux de plomberie ou des plaques d'isolation... Les impacts sont multiples au quotidien.
"Ce n'est pas une pénurie car, les produits, il y en a encore, mais il y a de gros problèmes au niveau des prix", concède Franck Bernigaud, qui préside la Fédération des distributeurs de matériaux de construction.
Il assure que les distributeurs veillent à pénaliser le moins possible leurs clients, y compris les petits.
Ces difficultés ont néanmoins eu des conséquences: la Fédération française du bâtiment (FFB) estime que 15% des entreprises ont peiné à continuer au moins un chantier durant l'été.
"Cela faisait 20 ans qu'on n'avait pas connu ça. D'habitude, ce taux est de l'ordre de 1 à 2%", compare le président de la FFB, Olivier Salleron.
Cette situation affecte plus particulièrement les petits artisans. "Je ne peux pas me permettre de faire des stocks. Et si une grande entreprise commande beaucoup de parpaings, il peut ne rien me rester", s'inquiète M. Templé.
Demande d'indemnisations pour activité partielle
Les géants de la construction, Bouygues, Vinci ou Eiffage, ont assuré lors de la présentation de leurs résultats semestriels que ces tensions d'approvisionnement n'avaient pesé ni sur leur activité, ni sur leur chiffre d'affaires.
Bouygues est protégé "grâce à un mécanisme d'indexation" du prix des matières premières "dans le contrat" des chantiers, explique le directeur général, Olivier Roussat.
Eiffage dit rester "vigilant" sur l'évolution de la situation.
"En sortie de crise sanitaire, on voyait que les chaînes d'approvisionnement n'existaient pas. Mais, au final, les six derniers mois ne se sont pas trop mal passés", se rassure Benoît de Ruffray, le PDG d'Eiffage.
A l'inverse, les artisans doivent négocier directement avec les commanditaires des chantiers pour espérer une rallonge.
"J'ai un chantier avec une école et on a pu augmenter le prix, contre l'assurance que le chantier sera fait à temps malgré l'approvisionnement difficile", témoigne M. Payen.
Les professionnels attendent avec impatience le dégonflement des prix mais la fédération du bâtiment ne voit pas cela arriver avant "plusieurs mois".
"Notre seule crainte est de devoir stopper des chantiers pendant cette forte relance du bâtiment", dit M. Salleron, qui demande au gouvernement la mise en place si besoin de l'"activité partielle".