C'est l'entreprise Voltalia, dont la famille Mulliez est le principal actionnaire, qui a construit en moins de deux ans ce qui deviendra la plus grande centrale solaire des Balkans occidentaux.
Installée sur 200 hectares en bordure du parc national de la lagune de Karavasta, des terrains fournis par le gouvernement albanais, la centrale pourra produire 140 Mega Watts, de quoi fournir en électricité plusieurs centaines de milliers de foyers.
Petit pays de bord de mer, l'Albanie a connu des coupures d'électricité quotidiennes entre la fin de la dictature en 1991 et les années 2000. Si la situation s'est améliorée, le pays connait encore des crises énergétiques régulières.
Avec 99% de la production d'électricité assurée par des centrales hydroélectriques, l'Albanie craint les sécheresses, et les infrastructures datant parfois de la dictature ont du mal à suivre le développement du pays et les millions de touristes qu'il accueille désormais chaque année. En 2022, une étude officielle avait ainsi alerté sur l'état des barrages - et des projets de nouveaux barrages ont été annulés, contestés par des ONG environnementales.
Les milliers d'heures d'ensoleillement annuel de Karavasta devraient permettre une production stable.
Dès cet hiver, explique Constantin von Alvensleben, responsable de Voltalia pour l'Albanie, "100 % de l'énergie produite par la centrale solaire de Karavasta sera revendue à la société nationale albanaise, qui la distribuera à son tour via la société de distribution albanaise OSHEE. Si l'Albanie génère un surplus d'énergie électrique, elle pourra exporter l'électricité vers des utilisateurs de pays voisins tels que la Grèce, l'Italie, le Kosovo, le Monténégro ou la Macédoine du Nord".
Si l'électricité est à 100% verte, l'Albanie produit aussi chaque année environ 650.000 tonnes de pétrole brut exportées en grande partie vers l'Union européenne, dans des conditions dénoncées par beaucoup d'organisations environnementales.
Grenouilles et pélicans
La centrale de Karavsta est installée sur des terres salées et incultivables - une rareté en Europe, explique Luca Anthouard, ingénieur sur le projet, ce qui a permis cette centrale "de grande envergure par rapport aux standards européens".
Et ce sol convient bien aux panneaux installés ici, "qu'on appelle bi-faciaux parce qu'ils captent l'énergie des rayonnements directs du soleil mais aussi le diffus dû à la réverbération du sol", ajoute-t-il.
La terre craquelée hébergeait, avant le chantier, de petites grenouilles vertes - les Pelophylax shqipericus, ou Grenouilles d'Albanie. "Une espèce protégée", explique Vilma Terpollari, conseillère en environnement auprès de Voltalia.
Elle sera chargée de vérifier que le batraciens reviennent en nombre sur le site. Pour cela, explique-t-elle, "nous avons rédigé des projets spécifiques pour protéger cette espèce et créé de nouveaux habitats pour qu'elle puisse revenir et se reproduire ici".
Sur les préfabriqués qui parsèment la centrale, des photos de cette petite grenouille au dos barré d'une ligne vert fluo incitent les ouvriers à faire attention.
Plus haut, c'est la ligne qui transporte l'électricité de la centrale vers la station de redistribution qui pourrait perturber les oiseaux. Non loin, la réserve naturelle héberge pélicans frisés et flamands roses, et la région est sur la carte des migrations de nombreuses espèces.
"Voltalia a installé des détourneurs d'oiseaux", souligne Mme Terpollari, "une première en Albanie". Ces tours permettent de signaler aux oiseaux qu'ils doivent faire un détour.
Quant aux habitants des villages alentours, 53 familles ont dû quitter leur terrain pour permettre la construction de la centrale et de la ligne. "Elles seront remboursées par l'Etat, en accord avec la loi", explique Ramatlen Bollobani, conseiller social de Voltalia.
L'entreprise s'est engagée à ajouter de l'argent "pour atteindre la valeur du marché de leur bien, y compris la production agricole". Seule une famille contesterait son éviction.