Saisie par les syndicats, opposés depuis le départ à cette réforme qu'ils jugent pénalisante pour les demandeurs d'emploi, la juge des référés de la plus haute juridiction administrative a suspendu les règles de calcul du montant de l'allocation chômage qui devaient entrer en vigueur dans dix jours.
"Les incertitudes sur la situation économique ne permettent pas de mettre en place" au 1er juillet les nouvelles règles, "qui sont censées favoriser la stabilité de l'emploi en rendant moins favorable l'indemnisation du chômage des salariés ayant alterné contrats courts et inactivité. En revanche, la juge ne remet pas en cause le principe de la réforme elle-même", indique le Conseil d'Etat dans un communiqué.
"Après cette ordonnance rendue en urgence, les recours +au fond+ des syndicats contre le décret réformant l'assurance chômage seront jugés par le Conseil d'État d'ici quelques mois", précise la juridiction administrative.
Pour la ministre du Travail Elisabeth Borne, "le Conseil d'Etat nous demande d'attendre encore un peu" et "censure uniquement la date d'entrée en vigueur" de la réforme.
"C'est donc la temporalité finalement qui est censurée", le Conseil "estimant qu'il faut avoir plus de visibilité sur la conjoncture économique", a-t-elle déclaré à l'AFP.
"On va regarder précisément comment on intègre les observations du Conseil d'Etat. On prend en compte tous les éléments qu'on peut avoir sur la conjoncture économique et le marché de l'emploi. A partir de là, on va agir pour permettre une application la plus rapide (possible) de la réforme", a-t-elle poursuivi.
Interviewée sur RTL mardi soir, Mme Borne a précisé que son ministère prendrait dans les jours qui viennent un décret pour que les règles actuelles puissent continuer à s'appliquer "au-delà du 1er juillet".
Décidée en juillet 2019 dans un marché de l'emploi alors dynamique, la réforme avait déjà été suspendue à plusieurs reprises par le gouvernement à l'aune de la crise du Covid-19 et a été amendée au vu du contexte.
"Camouflet"
Toutes les grandes centrales - sauf la CFTC pour des motifs juridiques - avaient déposé en mai des recours contre le décret du 30 mars qui réforme les règles d'indemnisation des demandeurs d'emploi.
Devant le Conseil d'Etat, le 10 juin, les syndicats avaient plaidé "des effets graves et immédiats" pour obtenir la suspension, lors d'une audience de plus de trois heures où le gouvernement s'était retrouvé souvent sur la défensive face à une juge des référés "dubitative".
Sitôt la suspension annoncée, le secrétaire général de la CFDT Laurent Berger a salué "une victoire pour les demandeurs d'emploi", qui "sonne comme un désaveu pour une réforme mal calibrée".
"C'est un camouflet pour le gouvernement et pour Emmanuel Macron qui n'ont eu de cesse de saccager les droits des chômeurs", a estimé la CGT dans un communiqué, tandis que pour FO, Michel Beaugas y a vu "un nouveau revers pour le gouvernement". Solidaires a pointé "une défaite pour ce gouvernement antisocial".
Même tonalité dans les rangs de la gauche où le PS et des élus LFI ont également évoqué "une victoire", tandis que Fabien Roussel (PCF) a appelé à mettre la réforme "définitivement à la poubelle".
Les syndicats dénoncent principalement sa mesure phare: le nouveau mode de calcul du salaire journalier de référence (SJR), base de l'allocation, qui va pénaliser les demandeurs d'emploi alternant chômage et activité, "les permittents".
L'exécutif défend un "enjeu d'équité", le système actuel étant plus favorable à ceux qui alternent contrats courts et inactivité qu'à ceux qui travaillent en continu.
Selon une évaluation de l'Unédic réalisée au printemps, jusque 1,15 million de personnes ouvrant des droits dans l'année suivant le 1er juillet auraient touché une allocation mensuelle plus faible (de 17% en moyenne), avec dans le même temps une "durée théorique d'indemnisation" allongée (14 mois en moyenne contre 11 avant la réforme).