"Je ne comprends pas que le monde de l'entreprise ne soit pas plus sensibilisé aux changements de son environnement qui vont finir par le tuer", souligne Elisabeth Ayrault, dans un entretien accordé à l'AFP au siège lyonnais de la société.
"Les entreprises n'en ont pas véritablement pris conscience et raisonnent à court terme. Vous me voyez effarée de leur incapacité à se mobiliser pour enrayer le phénomène", s'insurge-t-elle.
Depuis six ans à la tête de la Compagnie nationale du Rhône (CNR), Mme Ayrault parle en connaissance de cause. Observatoire privilégié de l'évolution du climat, la CNR a une mission unique: aménager et gérer un grand fleuve. Dans toutes ses dimensions, économique, bien sûr, mais aussi écologique et sociétale.
La CNR est à la fois un producteur d'énergie verte, un acteur des transports alternatifs (la voie d'eau) et un fournisseur de cette ressource de plus en plus précieuse: l'eau. Trois dossiers majeurs de la transition écologique.
"Le réchauffement, nous sommes aux première loges pour le constater puisqu'on ne produit de l'électricité qu'à partir de sources naturelles: eau, soleil et vent", souligne Mme Ayrault.
"En moyenne, le débit du Rhône baisse légèrement depuis une vingtaine d'années", relate-t-elle. "Mais ce fléchissement recouvre une réalité particulièrement préoccupante: une grande variabilité du débit, avec une succession de pics et de creux".
"L'été est désormais décalé de deux mois. En 2017, il n'a pratiquement pas plu, puis on a eu trois crues de suite. Début novembre, on expliquait qu'on ne ferait pas le résultat prévu. Et puis il s'est mis à beaucoup pleuvoir et on a réalisé notre objectif".
"Nos résultats dépendent désormais de un ou deux mois dans l'année et les études montrent que ce phénomène va s'accélérer. Et on sait qu'il y aura moins d'eau dans le Rhône dans 30 à 50 ans".
Le phénomène n'est pas propre à ce fleuve. Le trafic fluvial sur le Rhin a été perturbé cet automne par la sécheresse. Et le bassin de la Garonne est régulièrement en stress hydrique, poussant les autorités à engager une réflexion sur les usages de l'eau.
Qui privilégier en période de pénuries ? Les particuliers ? Les agriculteurs ? Les industriels ? Les centrales nucléaires ?
Un fleuve dangereux
"La question de l'usage de l'eau est essentielle pour nous", relève Mme Ayrault, qui souhaite aider les diverses parties prenantes à mieux utiliser cette ressource.
A hauteur de 1 à 5 millions d'euros par an, l'entreprise finance des études et prépare les agriculteurs à un avenir où l'eau sera plus rare.
La CNR développe aussi sa production d'énergie éolienne et solaire qui atteindra les 1.000 mégawatts installés fin 2020, soit le tiers de ses capacités en hydroélectricité.
Parce qu'il ne veut pas stériliser de nouvelles surfaces agricoles, le groupe fonde de grands espoirs sur le photovoltaïque "linéaire" (implanté le long des canaux ou des voies ferrées) et "flottant" (sur les retenues d'eau agricoles).
Contestées par certains, "les éoliennes ont beaucoup d'avenir à condition de faire de la pédagogie", assure cette architecte de formation qui les trouve "belles".
Mme Ayrault conteste que le Rhône ait été domestiqué par les ouvrages construits sur son cours depuis la fin du 19e siècle. "Il reste un fleuve dangereux. Nos ouvrages ne doivent pas s'opposer à la libre circulation de l'eau en temps de crues".
Pour elle, il est difficilement envisageable de rendre le fleuve à son état originel. "Notre rôle, c'est que notre impact sur l'environnement soit maîtrisé, raisonnable. La restauration des lônes (les bras morts du fleuve) est un bon exemple de ce que nous faisons".
"Un équilibre plus qu'un retour en arrière, c'est ce qu'il nous faut retrouver".
Pour elle, la CNR est une compagnie "atypique": les recettes de la production d'électricité doivent permettre de financer ses autres missions. Son actionnariat reflète d'ailleurs cette double ambition: le public en détient 50,03% (Caisse des dépôts et collectivités locales) et le privé (Engie) 49,97%.