Quelques centaines de personnes ont assisté samedi en fin de matinée au "premier coup de pelleteuse" du chantier de déconstruction de la cité ouvrière Gagarine d'Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne), emblème de la banlieue rouge, à constaté une journaliste de l'AFP.
Cette imposante cité de 13 étages avait été inaugurée en 1963 par le cosmonaute soviétique Youri Gagarine en personne, premier homme à avoir voyagé dans l'espace.
La destruction se fera en douceur. Pas d'explosion spectaculaire mais un chantier qui s'étalera sur 16 mois et laissera place à un écoquartier.
"La décision a été difficile à prendre mais elle s'est faite en concertation avec les habitants", explique Romain Marchand, premier adjoint au maire.
Grand ensemble de briques rouges en forme de T, la cité est emblématique de cette ville de la "ceinture rouge": une myriade de communes de la banlieue parisienne autrefois largement ouvrières, fiefs du Parti communiste français (PCF) depuis les années 1920.
Plus qu'un symbole, "La cité Gagarine a été la vitrine internationale du PCF, décrypte Emmanuel Bellanger, chercheur au CNRS et spécialiste de l'histoire des banlieues. A travers elle, le parti démontrait au monde ce qu'il était capable de faire au niveau local pour pouvoir ensuite le mettre en oeuvre au niveau national".
"On a choisi cette cité pour accueillir Gagarine pour montrer qu'Ivry la Rouge n'avait pas démérité en bâtissant des infrastructures" dignes de l'idéal soviétique, poursuit-il.
Etendard d'un "communisme municipal" incarné par le maire Georges Marrane et le député Maurice Thorez (secrétaire national du PCF de 1930 à 1964), Gagarine a aussi été le fleuron d'un urbanisme social. Une cité moderne pourvue d'un confort auquel les ouvriers n'avaient pas accès.
"Déclassement"
"La salle de bain, la grande cuisine, l'ascenseur .... C'était nouveau pour nous. Nous n'avions jamais connu un tel confort !", raconte Jacqueline Spiro qui a fait partie, avec ses parents, de la première génération d'habitants de la cité.
Françoise, qui y a vécu une dizaine d'années se souvient, elle, de l'atmosphère "fraternelle" qui régnait dans l'immeuble: "Il y avait une vraie vie dans la cité. Tout le monde se connaissait, on passait notre temps les uns chez les autres. C'était comme une grande famille". Pour elle, sa destruction marque "la fin d'un monde".
La rupture a lieu au milieu des années 70 avec le choc de la désindustrialisation qui touche durement la ville. Gagarine se paupérise et connaît des problèmes de délinquance. Avec sa relégation, quelques années plus tard, en zone urbaine sensible, elle devient un symbole de déclassement.
Ces dernières années, "il y avait un vrai problème d'attractivité, les gens refusaient de venir s'y installer, le turn-over était important", reconnaît M. Marchand qui veut "tourner la page".
Pour les habitants, l'écoquartier qui sortira de terre et qui est censé attirer les classes moyennes n'incarnera sans doute pas l'idéal social qu'était Gagarine. "On se demande si on aura les moyens de vivre ici", souffle Elizabeth, une riveraine.
Le futur écoquartier comptera "30% de logements sociaux", à loyers modérés, assure M. Marchand qui dit être attentif à "la pression immobilière réelle" à Ivry, dans une région parisienne où les loyers ne cessent d'augmenter.
Autre interrogation des riverains: à un an des élections municipales, Ivry perdra-t-elle son âme rouge avec ces aménagements ?
"La question de la gentrification a toujours été vécue comme une menace électorale pour le PCF", analyse le politiste David Gouard, spécialiste des banlieues. "Mais en l'état, la capacité politique reste en faveur du PCF", s'était largement imposé en 2014, avec 55% des suffrages.
Quoi qu'il arrive, Ivry restera une "ville emblématique marquée par sa radicalité politique", complète M. Bellanger, pour qui elle est devenue "un lieu de mémoire symbolique".