L'organisme public a lancé mardi une fédération dédiée, regroupant 270 scientifiques, afin de structurer leurs travaux sur cette molécule non polluante et très intense en énergie, expliquent les chercheurs Olivier Joubert et Daniel Hissel, à sa tête. Mission: de la recherche fondamentale mais aussi appliquée, pour accompagner les industriels.
QUESTION: Pourquoi créer une Fédération de recherche hydrogène (FRH2) au CNRS?
OLIVIER JOUBERT: "Pendant 20 ans, le CNRS a structuré la recherche dans ce secteur en France via un +club+ réunissant les principaux acteurs. Mais voyant l'engouement autour de l'hydrogène, le CNRS s'est dit qu'il lui fallait améliorer sa propre visibilité.
Le paysage français de la recherche hydrogène c'est le CNRS avec ses partenaires universitaires et le CEA, qui couvrent près de 80% des acteurs académiques, et la communauté industrielle: on a trois piliers bien visibles.
Dans l'alignement actuel des planètes, et les industriels poussant, on a vu apparaître le plan Hydrogène de la France, consacré pour environ 1% à la recherche, soit environ 80 millions sur les 5 à 7 prochaines années, et nous en sommes très contents".
DANIEL HISSEL: "Ce plan représente surtout une impulsion du gouvernement qui dit 'on y va'. Bien sûr les montants sont toujours insuffisants, mais ils seront complétés, et nous comptons sur l'effet de ruissellement venu de projets partenariaux, que nous menons déjà avec des industriels".
Q: 96% de l'hydrogène produit aujourd'hui vient d'un processus de transformation énergivore basé sur du charbon ou du gaz. L'hydrogène "vert", obtenu avec de l'électricité renouvelable, est bien plus cher. Quelles sont les priorités et pistes de la recherche ? A quels horizons?
OJ: "La première priorité est de remplacer par de l'hydrogène 'vert' le 'gris' utilisé actuellement par des industries comme la pétrochimie, la production d'ammoniac... Pour cela il faut produire des électrolyseurs. La deuxième est de développer la mobilité électrique à hydrogène pour la mobilité lourde, car cela permet un remplissage rapide, une autonomie importante, un poids limité.
La recherche est alignée là-dessus. L'objectif est d'améliorer les performances, la robustesse, la durée de vie des électrolyseurs, et par là réduire les coûts: fabrication, matière (remplacer par exemple le platine d'un électrolyseur par un matériau moins coûteux), automatisation des process... Pareil pour les piles à combustible.
Nous couvrons une gamme très large, de la recherche de matériaux jusqu'au test de systèmes."
DH: "Nous continuons à travailler sur des sujets de rupture, mais il s'agit aussi d'accompagner le tissu industriel.
Le basculement s'est en fait déjà opéré: depuis 2002-3, le prix des piles à combustible a été divisé par 50, et la performance améliorée d'autant. Il reste une 2e rupture à réaliser pour les rendre encore plus compétitives, mais l'accélération s'est accentuée ces 3-4 dernières années".
OJ: "Et le plan de relance Hydrogène doit permettre d'améliorer tout cela dans les 5 ans".
Q: Comment se situe la recherche française mondialement?
DH: "La recherche française est à l'état de l'art mondial, dans le peloton de tête. Le nombre de chercheurs étrangers que nous recevons permet d'en juger".
OJ: "L'Allemagne a plusieurs grands centres de recherche, mais pas de structure fédérative".
DH: "La concurrence sur l'hydrogène est mondiale. La Chine met les moyens sur certaines applications, notamment la mobilité lourde. On est dans une course à l'échelle mondiale! Mais les jeux ne sont pas faits, contrairement à d'autres domaines comme le photovoltaïque.
L'essentiel est de ne pas en rester aux bonnes idées, mais de les mettre en application d'un point de vue industriel et sur nos territoires. C'est l'année du Covid mais aussi de l'hydrogène, et les deux convergent sur la nécessité d'une relocalisation et d'une redynamisation industrielle de nos territoires. Ce qui a basculé est la prise de conscience du monde politique, et sur des questions comme celle-là, c'est fondamental".