Dans un entretien à l'AFP, Christophe Robert appelle de ses vœux la mobilisation de tous les acteurs du secteur et annonce la mise en place d'un système de veille et d'alerte pour s'assurer de la mise sous protection des 30.000 ménages menacés d'expulsion.
QUESTION : Vous avez demandé, en vain, la prolongation de la trêve des expulsions locatives qui prend fin ce mardi. Regrettez-vous la décision du gouvernement?
REPONSE : "On a fait cette demande parce que la situation sanitaire, sociale et économique reste très dure et parce qu'on est dans une phase qui va être périlleuse dans le sens où 30.000 ménages sont potentiellement menacés d'expulsion, c'est énorme, on n'a jamais connu ça.
Il nous semblait que le meilleur moyen d'éviter les catastrophes sociales c'était de prolonger encore la trêve mais en la mettant à profit pour accompagner les personnes vers d'autres solutions de logement, malheureusement ça n'a pas été retenu.
Maintenant l'énorme enjeu c'est que des solutions de logement alternatives soient proposées avant de prononcer l'expulsion manu militari, et qu'en cas de difficultés dans certains territoires, les familles puissent être maintenues dans les logements en dédommageant les propriétaires simultanément, le temps de trouver une solution.
Q : Le gouvernement s'est d'ores et déjà engagé à échelonner les expulsions et à trouver une solution de relogement ou d'hébergement. Est-ce suffisant?
R : "Le fait de dire « il faut trouver au maximum des solutions de logement alternatives pour les personnes menacées d'expulsion », ça c'est une bonne chose mais il y a une fragilité forte dans le fait de dire « s'il n'y a pas de logement, ce sera un hébergement ».
Le secteur de l'hébergement d'urgence est saturé. On a certes ouvert 43.000 places depuis mars 2020 et ces places vont être maintenues jusqu'en 2022, c'est une bonne nouvelle mais on ne va pas continuer à mettre des personnes dans de l'hébergement, ce n'est pas satisfaisant. Vous sortez d'un logement, vous avez vos meubles, vos lits, vos trois gamins, qu'est-ce que vous faites de vos meubles ? Et l'hébergement c'est pour combien de temps ? Trois jours ? Une semaine ? Un mois ? Et après qu'est-ce qu'il se passe?
L'autre fragilité c'est de dire que tout dépendra de l'offre disponible localement, ce qui fait qu'un préfet peut se dire « j'applique bien la circulaire en proposant un hébergement ».
C'est la raison pour laquelle nous allons mettre en place avec d'autres associations un système de veille et d'alerte pour nous assurer qu'il y a bien une logique de protection et pour repérer les endroits où il y aurait des problèmes et où il serait nécessaire de recadrer le tir par rapport aux consignes gouvernementales.
Q : Faut-il s'attendre à une nouvelle hausse sans précédent des expulsions locatives dans les années qui viennent?
R : "Tout dépendra de la capacité ou non du gouvernement à déployer une politique d'anticipation pour qu'il n'y ait pas des dizaines de milliers de ménages qui se retrouvent au fil des mois en situation d'impayés avec des expulsions dans deux ans et demi, trois ans.
C'est la bombe à retardement sur laquelle nous avons alerté en début d'année et qui nous inquiète énormément. L'équation est simple : vous avez une augmentation du nombre de demandes de RSA, une hausse très importante du chômage, vous avez des personnes qui n'ont pas forcément été couvertes par les aides de l'État depuis un an, qui voient leurs ressources très fortement diminuer et qui vont se retrouver en difficulté de paiement.
C'est maintenant qu'il faut agir, dans huit ou dix mois ce sera trop tard. L'enjeu c'est la mise en dynamique de tous les acteurs dans tous les territoires, c'est de mettre autour de la table, sous l'égide du préfet, les huissiers les bailleurs sociaux, les bailleurs privés, les associations, les équipes de travail social, les CAF etc. Et se fixer des objectifs."
Propos recueillis par Marine PENNETIER