Cette évolution fait suite aux annonces surprises du Crédit Mutuel qui évoquait déjà cette possibilité en novembre 2021. La Centrale de Financement s’interroge sur les conséquences de cette décision : la fin du questionnaire de santé entraînera automatiquement un risque supplémentaire pour les assurances, qui paiera ce risque ?
Retour sur un changement complet de la logique assurantielle actuelle
En novembre 2021, le Crédit Mutuel créait la surprise en annonçant la fin du questionnaire médical pour la souscription d’une assurance emprunteur dans le cadre d’un crédit immobilier, pour certains clients et sous certaines conditions. Avec ce changement sans précédent dans le domaine de l’assurance emprunteur, le Crédit Mutuel voulait mettre fin aux formalités médicales parfois jugées d’inégalitaires entre les individus qui sont considérés à risque et ceux qui ne le sont pas. La fin de ce questionnaire concernait 91.000 clients de la banque Crédit Mutuel, et pourrait, à terme, toucher un client sur deux.
Cette annonce n’est pas restée sans conséquence : le 3 février dernier, les parlementaires réunis en commission mixte paritaire votaient en faveur de la proposition de loi Lemoine, qui comporte notamment la suppression du questionnaire de santé pour une partie des emprunteurs, quelle que soit leur banque.
Désormais, pour un emprunt inférieur à 200.000€ et lorsque l’échéance de remboursement du crédit contracté est antérieure au soixantième anniversaire de l'assuré, ce dernier n’aura plus besoin de remplir de questionnaire de santé
La loi Lemoine et la mutualisation des risques
La suppression du questionnaire de santé témoigne du passage d’une logique assurantielle d’individualisation à une logique de mutualisation du risque.
Le principe de mutualisation des risques consiste à répartir le coût de la réalisation d'un sinistre entre les membres d'un groupe soumis potentiellement au même risque.
Concrètement, chaque assuré règle une cotisation ou prime d’assurance pour pouvoir se protéger financièrement contre les risques, évènements, dommages qui peuvent toucher ses biens ou ses responsabilités. Les primes versées, ajoutées à celles des autres assurés, servent à régler les sinistres qui surviennent à quelques-uns seulement. S’assurer, c’est donc accepter le principe de payer pour les autres sachant que peut-être un jour, ce sera pour soi-même.
Dans le cas de la fin du questionnaire de santé, la mutualisation du risque signifie l’uniformisation des tarifs pour tous les clients n’ayant plus besoin de remplir de questionnaire de santé. Une personne en bonne santé paiera alors la même assurance qu’une personne avec des problèmes de santé.
Cette mutualisation n’est donc pas profitable à tous les types de clients : statistiquement, on observe que les emprunteurs de la tranche d’âge la plus basse (25-35 ans) sont moins soumis aux risques de problèmes de santé. Ces mêmes clients, souvent primo-accédants, sont aussi généralement ceux qui bénéficient du niveau de vie le plus faible, et seront donc les plus impactés par une augmentation des prix de l’assurance.
Les secundo-accédants, de 35 à 50 ans, paieront, quant à eux, le même prix d’assurance que les primo-accédants, même si leur niveau de vie est généralement plus élevé et leur risque de contracter un problème de santé plus fort.
« Une fois de plus, les jeunes, souvent primo-accédants, se voient freinés dans leur accession à la propriété. La mutualisation des risques va se faire au détriment des jeunes, en bonne santé, cherchant à accéder à la propriété. Finalement, c’est la double peine pour eux : déjà souvent moins payé en raison de leur entrée dans la vie active, ils devront payer une assurance plus chère malgré leur bonne santé ! A l’inverse une personne plus âgée, qui gagne mieux sa vie, ayant eu un accident de santé mais avec un niveau de vie qui lui permet de payer une assurance un peu plus élevée, sera doublement avantagée ! “ résume Sylvain Lefèvre, président de La Centrale de Financement.
De plus, l’augmentation des prix du fait de la mutualisation des risques, entraverait l’attractivité des prix des contrats alternatifs face aux contrats des banques, réduisant la compétitivité des assurances.
Les solutions envisagées par les assureurs
Cette loi soulève également de nombreuses interrogations pour les assureurs, qui vont devoir prendre des décisions en conséquence. Pour éviter une prise de risque trop imprudente qui pourrait amener les assurances à risquer la faillite, il faut considérer comme probable que certaines choisissent de se retirer du marché pour les crédits de moins de 200.000€.
On peut aussi s’attendre à ce qu’elles mettent en place une clause de refus d’antériorité en excluant de l’assurance le passif d’un client, ce qui apparaît difficilement faisable puisque tout sera désormais fondé sur du déclaratif. Beaucoup de questions pratiques restent en suspens sur la mise en œuvre de la loi Lemoine. Il n’est pas possible de savoir comment réagira le marché immobilier à terme, mais il est nécessaire de prendre en compte ces potentiels effets négatifs. La proposition de loi Lemoine oblige d’ailleurs les pouvoirs publics à remettre un rapport sur la suppression du questionnaire de santé, d’ici deux ans.