"La relance est bien là. En revanche, à cause de ce déséquilibre mondial sur les matériaux, les +11% (d'activité) sont menacés", a alerté Olivier Salleron, président de la Fédération française du bâtiment (FFB), lors d'une conférence de presse.
L'activité du secteur a en effet progressé, comme anticipé, d'environ 11% sur un an au cours du premier semestre, mais elle reste encore inférieure de 5% à son niveau de début 2019.
Les chiffres sont ainsi dans le vert pour les mises en chantier de logements individuels et collectifs (+4,2% par rapport au premier quadrimestre 2019) et pour les autorisations de permis (+1%).
"L'emploi tient", a par ailleurs indiqué la FFB, précisant que 48.100 postes avaient été créés au premier trimestre 2021, dont 43.200 salariés.
Toutefois, cette dynamique ne pourra se poursuivre que "si les difficultés d'approvisionnement croissantes auxquelles sont confrontées les entreprises de bâtiment se règlent rapidement", a mis en garde l'organisation.
Selon la fédération, la sortie de crise est attendue pour fin 2021, voire début 2022, "alors qu'on espérait l'été 2021".
Pour limiter les conséquences de la hausse des prix et des pénuries sur le secteur, le ministre de l'Économie Bruno Le Maire a annoncé la semaine dernière le gel des pénalités en cas de retard de livraison sur les marchés publics.
Une annonce jugée "totalement insuffisante" par la FFB, qui propose une extension du gel des pénalités de retard sur tous les marchés (publics et privés) ainsi qu'une prise en charge intégrale par l'Etat de l'activité partielle des salariés, "comme ça s'est passé l'année dernière pour le Covid".
Elle réclame également la mise en place de deux crédits d'impôts afin d'amortir les éventuelles pertes subies en 2021 et de contrebalancer la hausse des prix des matériaux.
"Aujourd'hui, on a besoin d'amortir ce choc qui est peut-être plus grave que le Covid", a affirmé M. Salleron.
"Certains chantiers peuvent être non commencés ou abandonnés parce que les pénalités coûteront moins cher que de mener le chantier à son terme", a-t-il expliqué.
Entreprises : carnets de commandes et emploi se redressent, pas les marges
Pour autant, cette relance reste indéniable au regard des carnets de commandes, qui atteignent des niveaux records, toutes tailles d’entreprises confondues. Et cela vaut aussi pour l’emploi, puisque fin mars, le bâtiment affichait 48.000 postes de plus qu’au premier trimestre 2020, y compris intérim en équivalent-emplois à temps plein et que les perspectives d’embauche restent bien orientées.
Il faut toutefois signaler que l’amélioration globale côté activité et emploi ne se traduit pas franchement dans la rentabilité des entreprises. De fait, les Comptes nationaux trimestriels révèlent qu’après l’effondrement du printemps 2020, le relèvement des marges opérationnelles a cessé à la fin du troisième trimestre 2020 dans la construction, les maintenant bien en-deçà de leur niveau d’avant crise. Cela distingue d’ailleurs nettement le secteur des autres, notamment de l’industrie manufacturière qui a peu ou prou subi les mêmes contraintes.
Une analyse fine des données permet d’expliquer cela principalement par la reprise de l’emploi dans la construction. Il faut sans doute y lire aussi le début des effets de la crise des matériaux.
Deux menaces : sur la DFS et sur les matériaux
Ce sont deux sujets lourds aujourd’hui. Le premier, l’emploi, parce que de nouvelles menaces se dessinent sur la Déduction forfaitaire spécifique (DFS). Il s’agit d’un abattement de 10% de l’assiette des cotisations de sécurité sociale pour les employeurs et les salariés, en contrepartie des frais supplémentaires liés à la mobilité de leur lieu de travail. On estime qu’elle bénéficie à 45% d’ouvriers, 10% d’Etam et 5% des cadres du bâtiment.
Pour mémoire, le gouvernement envisageait de la supprimer en 2019 et de récupérer ainsi près d’un milliard d’euros auprès des entreprises et de leurs salariés, mais nous avions réussi à limiter la casse. Il revient à la charge de façon plus insidieuse, avec la mise en ligne le 1er avril dernier du Bulletin officiel de la sécurité sociale (Boss), qui répertorie toute la doctrine administrative en matière de cotisations sociales. Or, ce Boss remet en cause plusieurs curseurs concernant la DFS, qui devient ainsi beaucoup plus complexe à mettre en œuvre, ce qui poussera nombre d’entreprises à y renoncer. La FFB demande instamment le retour au mode de calcul ex ante.
Le second sujet très lourd du moment reste le choc sur les matériaux. La FFB s’est déjà largement exprimée sur ce sujet, depuis les premières alertes du début février. On peut signaler que l’Insee confirme maintenant les hausses de prix. Dans ce contexte, certaines entreprises dénoncent des contrats signés car la perte qu’elles subiraient en réalisant le chantier sans révision de prix s’avèrerait plus forte que la pénalité qu’elles encourent en y renonçant. D’autres entreprises mettent réellement des salariés en congés ou en activité partielle, faute de matériaux pour réaliser les chantiers.
La situation ressort très tendue, dans la plupart des métiers et sur tout le territoire. Nous ne ne connaissons pas le terme de cette crise, mais savons qu’elle menace de stopper net l’amorce de relance constatée. D’où l’appel à la responsabilité de tous que nous avons diffusé très largement et les chartes que nous avons signées avec certains donneurs d’ordres.
Pour passer cette crise, la FFB demande la mise en œuvre de la théorie de l’imprévision ainsi que la réactivation de l’ordonnance qui avait gelé les pénalités de retard sur tous les marchés et tout au long de la filière au printemps 2020. Elle demande aussi un accompagnement plus fort aux fournisseurs, afin de partager le risque et le choc sur les marges. Enfin, la FFB demande au gouvernement la possibilité de recevoir immédiatement la créance d’impôt généré par un carry back, un crédit d’impôt proportionnel au poste « achat de matériaux » des entreprises et la prise en charge intégrale par l’État des coûts d’activité partielle en cas de rupture d’approvisionnement.