Cet examen, très attendu du monde judiciaire, doit permettre de trancher plusieurs points. Une très longue enquête est-elle, en soi, une atteinte aux droits de la défense ? Ou bien, faut-il apprécier au cas par cas et identifier concrètement quelles atteintes ont été portées à la défense ?
Et si ce délai déraisonnable est bien constaté, faut-il alors annuler toute la procédure ? Ou bien, juger l'affaire mais demander une réparation financière ?
Jusqu'à maintenant, la réponse était la compensation financière. Mais le tribunal correctionnel de Nanterre, puis la cour d'appel de Versailles, se sont éloignés de la jurisprudence de la Cour de cassation et ont statué pour la sanction dans l'affaire de la Chaufferie, en invalidant près de vingt ans de procédure.
Dans ce dossier, cinq chefs d'entreprise sont accusés d'avoir faussé, entre 1999 et 2003, l'attribution du juteux marché du chauffage et de climatisation du quartier d'affaires de La Défense, aux portes de Paris dans les Hauts-de-Seine, estimé à plusieurs centaines de millions d'euros.
Ils devaient comparaître le 11 janvier 2021 à Nanterre, en l'absence d'un protagoniste phare, l'ancien sénateur et maire de Puteaux (UMP) Charles Ceccaldi-Raynaud, mis en examen en 2007 et décédé en 2019.
Au premier jour du procès, le tribunal a décidé d'annuler l'intégralité des actes d'enquête, arguant que le droit des prévenus à être jugés dans un délai raisonnable, consacré par le droit européen, avait été bafoué.
"Un avant et un après"
Dans sa décision de 29 pages, le tribunal a méticuleusement détaillé la chronologie.
La complexité de l'affaire justifiait-elle cette durée ? Non, répond le tribunal : "la nature des infractions poursuivies et le nombre de personnes mises en cause" ne présentaient pas un "caractère exceptionnel".
La défense a-t-elle sciemment ralenti l'enquête? Non, "cinq des six personnes mises en examen dans ce dossier ont participé pleinement" à l'instruction, écrit le président de la chambre, Olivier Protard.
Les autorités judiciaires ont-elles été réactives? Non, malgré sept juges d'instruction et une durée "totalement inhabituelle" de l'enquête, il n'y a pas eu de confrontation entre les prévenus soupçonnés de corruption et le bénéficiaire présumé, Charles Ceccaldi-Raynaud.
Des manquements qui n'auraient pu être palliés par un procès, selon le tribunal : l'ancien maire est décédé et deux des prévenus n'auraient pu "rendre compte de leurs actions" à l'audience, l'un étant presque centenaire et l'autre atteint de Parkinson.
Trois jours plus tard, le parquet de Nanterre avait fait appel, arguant notamment qu'il n'y avait pas "d'excuse de vieillesse" à accorder.
Devant la cour d'appel de Versailles, le parquet général avait demandé l'expertise médicale des deux prévenus les plus âgés, afin d'ouvrir la voie à un nouveau procès. Mais l'annulation du procès pour corruption avait été confirmée.
La cour d'appel a toutefois ordonné la tenue d'un procès sur un autre volet de l'affaire, où se sont constituées des parties civiles et où doivent être jugés deux hommes, plus jeunes et encore en capacité de se défendre selon la cour, pour abus de biens sociaux.
Le parquet général s'est pourvu en cassation. Et c'est ce pourvoi qui est examiné jeudi par la plus haute juridiction judiciaire.
"Il y a un avant et un après la Chaufferie de la Défense", commente auprès de l'AFP une magistrate en banlieue parisienne. Du fait des "personnalités impliquées", ce dossier a donné une visibilité à la question du délai raisonnable, estime-t-elle.
Pour Olivier Baratelli, avocat de l'un des prévenus, Jean Bonnefont, ancien dirigeant des ex-Charbonnages de France âgé de 99 ans, cette annulation a contribué à "écrire l'histoire judiciaire". "Les grands principes européens rentrent enfin dans le droit français : un vent de fraîcheur", a-t-il déclaré à l'AFP.
D'autres nuancent. L'avocat Olivier Morice, qui a récemment obtenu deux jugements d'annulation, "ne voit pas dans la Chaufferie l'origine d'un tournant, mais une marche en avant au caractère inéluctable".
Depuis, au moins une demi-douzaine de décisions similaires ont été prononcées, presque toutes frappées d'appel. Des procès portant sur des faits très anciens ont aussi été renvoyés, dans l'attente de la décision de la Cour de cassation.