La repeindre tous les sept ans. Telle était l'instruction donnée à la fin du XIXe siècle par l'ingénieur Gustave Eiffel, père de ce symbole national qui atteint aujourd'hui l'âge de 135 ans, pour qui la peinture était "l'élément essentiel de la conservation d'un ouvrage métallique".
Mais malgré une 20e campagne de peinture en cours depuis 2019, la Société d'exploitation de la tour Eiffel (Sete) et son actionnaire ultra-majoritaire, la Ville de Paris, sont sous le feu des syndicats qui leur reprochent un manque d'entretien.
"De nombreux points de corrosion sont visibles, symptômes d'une dégradation inquiétante du monument", affirment la CGT et FO.
Depuis lundi, les photos et vidéos de parties rouillées du monument affluent, alimentées par les voix critiques comme l'association de défense du patrimoine SOS Paris.
Le fer puddlé, choisi pour construire la tour, produit par affinage de la fonte pour éliminer l'excès de carbone et le rendre plus résistant, "rouille beaucoup plus vite que l'acier", souligne Pierre Lamalattie, de l'association les Amis du Champ-de-Mars.
"Chaque fois qu'il y a des points de rouille, ça progresse assez vite et peut poser des problèmes de sécurité", estime ce peintre et critique d'art.
Encore 40% à traiter
"Ce monument est en très bon état", rétorque le premier adjoint Emmanuel Grégoire.
L'actuelle campagne de peinture n'est pas terminée, se défend la Sete. "60% sont faits, il en reste 40%. La peinture est dégradée, pas la structure", résume à l'AFP son président Jean-François Martins.
Les syndicats reprochent à la direction d'avoir tardé dans cette campagne, démarrée en 2019 et qui devait initialement se terminer pour les Jeux olympiques (26 juillet - 11 août).
La précédente avait commencé en mars 2009 pour se terminer fin 2010. L'actuelle campagne a donc démarré en retard par rapport aux sept ans préconisés par l'ingénieur Eiffel.
Selon Pierre-Antoine Gatier, architecte en chef des monuments historiques, sélectionné par la Sete pour mener le chantier, le délai s'explique par "l'organisation nouvelle d'un chantier de basculement", avec notamment pour "tâche unique de décaper une part importante de la tour (3%), ce qui n'avait jamais été fait".
Surtout, "la différence majeure, c'est que l'actuelle campagne dure de cinq à six ans", souligne M. Martins.
Deux aléas simultanés en ont voulu ainsi: en pleine crise sanitaire du Covid-19, la découverte de traces de plomb dans les anciennes couches de peinture a obligé à la suspension du chantier pendant huit mois.
Corrosions "superficielles"
Ce retard et le changement des procédures techniques et sanitaires ont fait déraper le coût de 50 à 100 millions d'euros.
Mais "ensuite, la structure en fer sera incroyablement bien préservée", promet M. Martins.
L'actuelle campagne, qui sera interrompue cet été le temps des JO, doit se terminer en 2025-2026, la suivante être lancée "avant 2030", indique-t-il.
En attendant, "la tour Eiffel n'est pas en danger", rassure Pierre-Antoine Gatier, pour qui "les corrosions sont le plus souvent superficielles".
Dans ces cas-là, un "piquetage des zones corrodées" permet de retrouver une "surface saine" avant d'appliquer la nouvelle couche de peinture, précise-t-il.
Selon le maître d'oeuvre du chantier, les études réalisées sur les zones de décapage, "là où la peinture était la plus altérée", ont montré un "fer puddlé en parfait état de conservation".
C'est notamment le cas côté Champ-de-Mars, où la tour est altérée "à cause de l'effet conjugué du vent et du sable" remontant de l'esplanade".
Quant à l'état des 18.000 pièces qui constituent la Dame de Fer, les contrôles ont montré "environ 60 pièces à traiter, et sans urgence", relativise l'architecte.
"Nous en avons déjà remplacé 10% et nous continuons", ajoute l'architecte, pour qui l'actuel débat montre "notre attachement pour la tour".