A Saucats, commune de 3.200 habitants à 20 km au sud de Bordeaux, les opérateurs Engie, Neoen et RTE veulent établir d'ici quatre ans une gigantesque centrale solaire.
Cette centrale générerait chaque année l'équivalent "d'un cinquième à un quart" de la production électrique d'un réacteur nucléaire. Mais ce projet d'énergie renouvelable, enjeu de la présidentielle d'avril avec l'actuelle flambée des prix de l'énergie, se heurte pourtant à une forte opposition locale de tous bords.
Baptisé "Horizeo", le projet d'un milliard d'euros prévoit aussi l'installation de batteries de stockage, d'une unité de production d'hydrogène vert, d'un centre de données et d'une surface associant cultures maraichères et panneaux solaires.
"C'est vraiment immense", dit cet agriculteur, qui exige l'anonymat tant le projet divise localement. Au volant de son pick-up sur des routes départementales puis des pistes sableuses, il met plus de 20 mn pour contourner les clôtures de la zone d'étude du projet.
Pour ses parcelles de maïs doux et de haricots cultivées juste à côté, il redoute l'apparition d'îlots de chaleur et la répétition d'inondations, que provoquerait, selon lui, un futur déboisement.
Car pour bâtir Horizeo, il faudra défricher 1.000 hectares de pins maritimes actuellement exploités -l'équivalent de 1.400 terrains de football- dans cette commune boisée à 75% et où le projet est soumis à un grand débat public, encadré par l'Etat, depuis l'automne dernier.
"C'est une folie" guidée par "la rentabilité financière", s'insurge, également sous couvert d'anonymat, Sabine, une chargée de communication de 51 ans qui réside à 6 km.
"Les centrales nucléaires sont en fin de vie, il faut d'autres solutions", rétorque un habitant de 34 ans, qui soutient l'installation de la centrale solaire car "tant que la société continuera de consommer, il faudra produire de l'énergie".
Pour atteindre la neutralité carbone en 2050 en France, il faudrait entre 7 et 22 fois plus de capacité de production photovoltaïque qu'aujourd'hui, rappelait en novembre la Commission nationale chargée du débat public, en se basant sur les scénarios nationaux du gestionnaire du réseau électrique RTE - qui vont d'une production électrique 100% renouvelable à un duo renouvelable-nucléaire à 50-50.
C'est donc pour "l'intérêt général" que le Conseil municipal a "donné un accord de principe" à Horizeo, défend le maire socialiste Bruno Clément.
Mais situé à l'endroit exact où démarra le feu de forêt le plus meurtrier de l'histoire moderne du pays, qui tua 82 personnes en août 1949, le parc solaire ne se fera que s'il ne présente "aucune aggravation des risques incendie et inondation", prévient-il.
Accaparement
Pour son gigantisme, ses risques sur l'environnement et la biodiversité, le projet est fraîchement accueilli, des Verts menés par le maire de Bordeaux Pierre Hurmic, qui réclament "un projet alternatif", jusqu'aux partis d'extrême droite (RN et Reconquête), farouchement opposés.
"On doit être attentif au maintien du massif forestier", tempère Alain Rousset, président socialiste de la région Nouvelle-Aquitaine, première productrice d'énergie photovoltaïque, qui vise un mix énergétique 100% renouvelable d'ici 2050.
Horizeo permettrait pourtant à lui seul "d'atteindre 15% des objectifs régionaux", défend Mathieu Le Grelle, son porte-parole.
"Une opportunité rare", car situé à quelques kilomètres d'un des seuls postes électriques capables d'injecter autant d'électricité dans le réseau, souligne-t-il, rappelant que les entreprises s'engagent à reboiser "deux arbres pour un coupé".
Si Horizeo reste soutenu par les professionnels du secteur, la Chambre du Commerce et de l'Industrie, et, "avec des réserves", par la section locale de Greenpeace, il se heurte à un arc d'opposants hétéroclites - riverains, syndicats sylvicole, agricole et viticole, chasseurs et associations environnementales locales - qui émergent au fur et à mur de l'avancée du projet.
Selon des opposants, le terrain serait loué entre 3.000 et 4.000 euros l'hectare chaque année durant 40 ans par les porteurs d'Horizeo - qui n'ont pas souhaité commenter ces montants- contre 3.000 à 5.000 euros l'hectare pour une vente foncière classique entre professionnels du bois.
Pour Stéphanie Lafitte, sylvicultrice voisine, l'écart est tel que si "ce giga-projet est validé", "l'industrie (du renouvelable) finira par s'accaparer la forêt".
D'après l'inventaire des autorités publié par la Dreal et les objectifs du Conseil régional, les espaces déjà artificialisés - sites pollués, parkings, friches - disponibles pour y établir de nouvelles plateformes photovoltaïques sont largement "insuffisants" pour couvrir les besoins.