Sidérurgie, raffineries, chimie, cimenterie, engrais: les activités les plus émettrices de gaz à effet de serre situées dans les quatre plus grandes régions industrielles de France vont avoir besoin de 10 à 12 GW de capacité supplémentaire d'ici 2030, soit un "doublement" de leur besoin actuel, a indiqué vendredi Jean-Philippe Bonnet, directeur adjoint du pôle stratégie et prospective de RTE, gestionnaire du réseau électrique français à haute et très
haute tension.
Déjà les chantiers démarrent. Les plus emblématiques sont situés à Dunkerque, à Fos-sur-Mer, sur l'embouchure de la Seine et dans la "couloir de la chimie" autour de Lyon: quatre zones portuaires maritimes ou fluviales héritées de l'industrialisation des Trente Glorieuses.
Les investissements en cours sur ces sites pour réduire les émissions de CO2 doivent à la fois permettre aux industries traditionnelles, incluant ArcelorMittal ou TotalEnergies, de se moderniser, et à d'autres, nouvelles, de s'installer.
A Dunkerque, une usine de batteries est ainsi prévue par Verkor. La mairie a aussi confirmé à l'AFP des contacts avec le taïwanais Prologium pour une autre usine de batteries. Un site de panneaux solaires photovoltaïques vient d'être annoncé par Carbon à Fos-sur-Mer (Bouches-du-Rhône).
Comme "un million d'habitants"
Mais le seul projet du consortium Gravithy à Fos-sur-Mer qui réunit notamment Engie, Plug, et Primetals pour une usine de traitement du fer par l'hydrogène, a besoin d'autant d'électricité qu'"une ville d'un million d'habitants", souligne Rachid Otmani, directeur adjoint du pôle clients de RTE.
"Comment adapter le réseau électrique ?" demande M. Bonnet, soucieux d'éviter les engorgements autant que les surcapacités sur les lignes à haute tension.
Pour accompagner ce défi, RTE mise sur des investissements totaux de 1,5 à 2 milliards d'euros sur les quatre zones, mais "en palier": en renforçant d'abord le réseau installé, avant de se lancer dans des investissements lourds liés à de nouvelles sources de production, centrales nucléaires ou énergies renouvelables.
A Dunkerque, la demande pourrait croître à 5 GW en 2030 - l'équivalent de la puissance de 5 réacteurs nucléaires - au vu de tous les projets annoncés dans la région. "Or le réseau électrique actuel de la zone ne peut pas supporter plus de 2 GW", ajoute M. Bonnet.
Dans un premier temps, RTE prévoit de renforcer le réseau existant de 225.000 volts. Puis de créer une nouvelle infrastructure lourde de postes électriques à 400.000 volts après 2030.
A Fos-sur-Mer, où le réseau électrique date des années 1960 et n'a que très peu évolué depuis, le besoin en électricité est estimé à 4 ou 5 GW en 2030 contre moins de 1 GW actuellement.
Là aussi une infrastructure à 400.000 volts est nécessaire. Un projet d'alimentation électrique depuis la vallée du Rhône a été présenté aux élus locaux mi-mars. "Il alimenterait toute la région Provence-Alpes-Côte d'Azur", souligne M. Bonnet, et pas seulement le pôle industriel.
"Flexibilité"
Plus globalement, RTE estime que la règle en cours consistant à allouer des capacités par ordre d'arrivée des demandes des industriels, doit être "assouplie"; le gestionnaire espère un décret en ce sens "avant l'été".
"Nous souhaitons pouvoir prioriser les projets avec l'aide des préfets, selon certains critères de décarbonation ou de maturité du projet industriel", ajoute M. Bonnet. Afin d'éviter de bloquer des capacités électriques pour certains projets qui ne se concrétiseront pas avant 6 ou 7 ans.
Le gestionnaire du réseau aimerait aussi encourager la "flexibilité" des installations: ainsi les électrolyseurs destinés à produire de l'hydrogène décarboné "doivent pouvoir s'arrêter, repartir, profiter des opportunités des énergies renouvelables, et suivre les alertes d'Ecowatt", commente M. Bonnet.