En décembre 2019, Bloomberg s'était vue infliger une amende de cinq millions d'euros par l'AMF pour avoir manipulé les marchés en diffusant de fausses informations qui avaient fait chuter le cours de l'action du groupe de BTP, Vinci.
Le cours avait plongé de 18,28% avant de se redresser pour clôturer en baisse de 3,78%. Un préjudice évalué par l'AMF à 6,5 millions d'euros pour les investisseurs.
Devant la cour, les avocats de Bloomberg ont plaidé la "bonne foi" des deux journalistes de l'agence qui "n'ont pas tiré profit" de la diffusion des fausses informations. Ils ont jugé la sanction "exorbitante" et "sans précédent en France et en Europe" tandis que la défense de l'AMF souligne que le montant représente "5% du maximum encouru".
"Au nom de quoi un journaliste qui se trompe de bonne foi devrait-il encourir une sanction presque 1.000 fois plus importante qu'un traître à la nation"?, clame Me Jean-Charles Jaïs, l'un des avocats de Bloomberg, évoquant la sanction prévue pour le cas où une fausse nouvelle diffusée de mauvaise foi ébranle le moral des armées.
De son côté, la défense de l'AMF reproche aux journalistes d'avoir diffusé l'information "sans vérification ni lecture du communiqué dans son intégralité", et soutient que "la bonne foi implique d'agir dans le respect des règles de la profession".
Les journalistes avaient diffusé en novembre 2016 plusieurs dépêches sur la base d'un communiqué frauduleux qui avait annoncé la révision des comptes consolidés du groupe en raison de prétendues irrégularités ayant entraîné une perte nette et le prétendu licenciement de son directeur financier.
Ce communiqué était faux dans son contenu et dans sa provenance, mis en ligne sur un site miroir, imitant le vrai site (vinci.group et non vinci.com). Le document était signé du nom du véritable responsable des relations presse de Vinci, en renvoyant à un faux numéro de téléphone.
Liberté de la presse
"Comment reprocher à Bloomberg de ne pas s'être aperçue que le numéro en bas du communiqué n'était pas le bon?", interroge un autre avocat de Bloomberg, Me Arnaud de la Cotardière. "Je ne connais même pas le numéro de téléphone de mes enfants!"
Pour lui, "le titre Vinci n'a pas chuté à cause d'une mauvaise foi mais à cause de cybercriminels hors norme" que même "la police n'a pas pu retrouver".
Une enquête avait été ouverte par le Parquet national financier mais celle-ci a été "classée sans suite pour motif: auteur inconnu", avait rappelé plus tôt la rapporteure.
Selon la défense de Bloomberg, le postulat d'un "faux grossier" retenu par la partie adverse ne tient pas: la source était "en apparence crédible" et le faux communiqué, "la reproduction à l'identique d'un vrai".
"Les faussaires ont usurpé de véritables identités pour acheter des lignes téléphoniques payées en bitcoin", révèle Me de la Cotardière.
Aussi, "Bloomberg n'a pas été la seule à être trompée mais a été la seule à découvrir la supercherie", fait-il valoir, indiquant que trois autres agences de presse dont l'allemande DPA, la britannique Reuters, l'américaine Dow Jones ainsi que le journal les Echos s'étaient également fait piéger. Mais l'AMF n'en fait "pas mention", déplore-t-il.
"Domaine erroné, fautes d'orthographes, formulations douteuses" auraient pourtant dû mettre la puce à l'oreille aux journalistes de Bloomberg, estime de son côté le Parquet, partageant l'avis de l'AMF qui insiste sur "l'intérêt public de protéger le marché et les investisseurs".
"Des coquilles, il y en a aussi dans les rapports de l'AMF", ironise Me de la Cotardière.
Les deux journalistes avaient été alertés par un collègue ex-spécialiste de Vinci que la société avait fait l'objet d'un faux communiqué en 2014. Dès qu'ils ont compris avoir été dupés, ils ont supprimé les annonces et diffusé rectificatifs et démentis avant même que Vinci ne publie son démenti officiel.
"Ce qui est en jeu, c'est le respect de la liberté de la presse", a martelé Me Jaïs. "L'AMF ne connaît pas la réalité de ce métier" mais veut, selon lui, "déterminer les règles applicables" à la profession.
La décision sera rendue le 16 septembre.