Ils ont pris place en contrebas du périphérique, derrière une palissade, au milieu d'une rangée d'arbres à moitié épargnée : après deux mois de travaux préparatoires, l'arrivée lundi de dix silos de 16 mètres de hauteur, renfermant du béton liquide, a marqué le début officiel d'un chantier de quatre ans.
A terme, une pyramide de 180 m de hauteur pour 42 étages, soit 95.000 m2, doit devenir le troisième édifice le plus haut de Paris, derrière les tours Eiffel et Montparnasse. "Trois fois par semaine, je m'arrête et j'imagine cette horreur", frémit Michèle Guittard-Golberin, qui habite à une centaine de mètres de là.
Cette riveraine de longue date lutte contre ce projet "aberrant" au sein du Collectif contre la Tour Triangle. "On ne verra plus ce ciel", désespère la retraitée de 70 ans pour qui le futur gratte-ciel "va faire une sacrée ombre".
Au milieu du Parc des expositions et sous le périphérique, personne ne prête trop attention aux premiers travaux sur cette artère qui relie Paris à Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine). Mais chacun y va de son avis.
"Arrêter avec ces délires"
Nassera, 53 ans, redoute "beaucoup de monde" dans le quartier. Pour Rémi, éducateur spécialisé de 34 ans, "il faut arrêter avec ces délires" car "il y a assez de tours comme ça". Un autre passant redoute lui des "problèmes d'embouteillage, de circulation, de transports en commun".
Du côté des "pour", Thierry, 52 ans, pense que la tour va permettre "une transition entre Paris et Issy". "Il y a des grandes capitales internationales qui évoluent, comme Londres", juge cet Isséen pour qui le choix du site, sans vis-à-vis direct, a été fait "de manière intelligente".
Le tour "va redynamiser le quartier", positive Anne, une propriétaire qui espère voir "monter le prix du m2".
La tour ne commencera à sortir de terre qu'à l'été 2023, pour finir d'être érigée mi-2025 et livrée en 2026, selon le calendrier du promoteur, le géant des centres commerciaux Unibail-Rodamco-Westfield (URW) qui anticipe 5.000 emplois directs et indirects pendant le chantier et 5.000 collaborateurs installés à terme.
De quoi redonner espoir à des commerces à la peine après deux ans de crise sanitaire. "Tout le quartier vit avec les salons" du Parc des expositions, "c'est très dur pour nous", souligne Tran, gérante d'un restaurant de sushi.
"Depuis deux jours que le chantier est ouvert, on bosse bien le matin, les patron des sous-traitants payent le café", note une serveuse du Dupont qui redoute en revanche "la poussière en terrasse".
"Réversibilité"
Pour faire accepter son projet, URW met en avant les 1.000 m2 de panneaux photovoltaïques, le "béton bas carbone" et la "réversibilité" de la tour, critiquée pour faire la part belle à des bureaux (75% d'espaces de travail) pourtant mis à mal par le télétravail.
"Demain, on pourra si on le souhaite transformer 30.000 m2 de bureaux en logements", affirme URW.
Pas de quoi convaincre Christine Nedelec, présidente de France Nature Environnement (FNE) Paris et SOS Paris, qui dénonce une "impasse verticale avec une pléthore d'ascenseurs" et "une tour-barre de 150 m de long". "C'est faux de dire qu'il n'y aura pas d'ombre", assure-t-elle.
"Sa forme a été définie pour ne pas générer d'ombre sur les riverains" mais en "majorité" sur le Parc des expos, répond Vincent Jean-Pierre, directeur du développement bureaux et projets mixtes chez URW.
Les opposants espèrent toujours pouvoir arrêter le chantier, notamment grâce à l'enquête préliminaire pour "favoritisme" ouverte en juin 2021 autour de la concession.
Jeudi 10 février, Patrice Maire, président de l'association Monts 14, a demandé à Emmanuel Macron un moratoire sur les travaux, s'appuyant sur un document récent de l'Unesco demandant à l'Etat de redéfinir la zone tampon entourant les Rives de Seine, classées au patrimoine mondial.