"Le fait de pouvoir se rencontrer et se retrouver tous dans la ruelle pour pouvoir partager ce qu'on vivait, avec humour et amitié, a été vraiment un exutoire", dit Marie-Eve Beaud, 40 ans, en évoquant les derniers mois.
"On a tous vécu beaucoup de stress, c'est une période instable", explique à l'AFP cette mère de deux enfants de 9 et 11 ans.
Nichées dans le quartier Ahuntsic-Cartierville, deux ruelles encadrent la rue Saint-Hubert, artère commerciale passante traversant Montréal, où la pandémie a fait 3.500 morts parmi les 9.200 enregistrées dans le pays.
L'une d'elles s'étire sur environ 200 mètres. Haies et fleurs y poussent le long des palissades en bois, qui ceinturent les cours arrière des maisons et où sont également suspendues des jardinières.
Née il y a plusieurs années, l'idée de ce projet entre voisins était de ralentir la vitesse des véhicules et de s'approprier l'espace en le végétalisant. La réalisation des aménagements a coïncidé par hasard avec l'arrivée de la pandémie.
Au cours des derniers mois, les riverains ont planté des végétaux, construit des bancs en bois, installé des nichoirs à oiseaux et insectes, des bacs à livres, à jouets et à fleurs.
"La pandémie a servi de catalyseur pour les initiatives personnelles. Les gens étaient à la maison, plus disponibles", souligne Jean-François Viens, 39 ans.
"Peut-être que dans une année normale, on n'aurait pas construit autant de trucs, on aurait moins rencontré de voisins", croit cet urbaniste, père de trois enfants.
"Grande bulle extérieure"
Enfants et adultes se retrouvent ainsi en fin de journée, de manière spontanée dans cet espace. Certains s'en servent pour jouer, faire du skate ou de la trottinette, d'autres pour discuter, prendre l'apéro.
"Je pense que nos enfants ont moins souffert de l'isolement pendant la pandémie parce qu'ils ont continué à voir d'autres enfants, à voir des adultes, toujours à distance. Dans la ruelle, le 2m est facile à respecter", souligne Catherine Bouchard, 40 ans.
Pour cette enseignante, mère de trois enfants, la ruelle a été comme "une grande bulle extérieure", "un espace de liberté" pour les enfants comme pour les adultes, souvent en télétravail. "Ça faisait du bien, c'était une façon de garder sa santé mentale".
"Avoir une ruelle, c'est important, surtout en temps de pandémie où tu ne sais plus trop où aller parce qu'il y a moins d'options pour aller à l'extérieur", renchérit Emilie Thuillier, maire de l'arrondissement Ahuntsic-Cartierville. Cela "agrandit l'espace".
L'arrondissement consacre plusieurs dizaines de milliers de dollars pour chaque nouveau projet de ruelles vertes. Chaque projet doit être soutenu par la moitié des habitants du secteur.
"On voit vraiment une montée de ce type de participation très locale, très axée sur le +faire+. Les gens sentent un désir de changer leur environnement, de sentir qu'ils sont capables de changer les choses autour d'eux", note René Audet, sociologue de l'environnement à l'université du Québec à Montréal.
Selon ce spécialiste de la transition écologique, le verdissement des ruelles est un exemple de la "réappropriation du milieu de vie".
En dix ans, leur nombre a presque été multiplié par dix à Montréal, qui en comptait 435 en 2019. Les ruelles ont aussi vocation à limiter les îlots de chaleur, retenir les eaux de pluie et faire plus de place à la biodiversité.
"Il y a énormément de bénéfices environnementaux à avoir des ruelles vertes: ce n'est pas que décoratif ou qu'un excellent milieu de vie pour le voisinage", assure Louise Hénault-Ethier, directrice des projets scientifiques à la fondation David Suzuki.
"En temps de crise, les gens se tournent vers l'essentiel. Ils ont besoin d'être rassurés, en se concentrant vers le soutien de leur besoins de base: ça implique un retour à la terre", explique l'experte, ajoutant que "la végétation a d'excellentes capacités d'apaisement".