De l'autre côté du couloir, Fatima, 33 ans, partage une chambre avec son mari et ses deux enfants, âgés de 10 mois et 2 ans. En t-shirt noir orné d'un chat, appuyée contre un papier peint déchiré, elle refuse de donner son nom "par honte".
La famille se serre le soir dans un lit double drapé de blanc entre des piles de vêtements et un réfrigérateur surmonté de biberons rose pâle. Un courant d'air filtre de la fenêtre, pourtant fermée.
A Grigny 2, vaste quartier de 5.000 logements et 17.000 habitants - et où plusieurs centaines de personnes supplémentaires pourraient vivre "sous les radars" selon la mairie - les marchands de sommeil pullulent depuis des années dans les copropriétés dégradées et surendettées.
En guerre contre les logements insalubres ou divisés illégalement, la mairie se bat à coups de permis de louer et de signalements au parquet d'Evry. Qui a en parallèle fait de la lutte contre les marchands de sommeil un "axe prioritaire de sa politique pénale".
30 condamnations ont été prononcées depuis 2012, dont 25 ces trois dernières années, selon le décompte de la mairie.
"Avec l'ARS et le parquet, on a permis l'émergence d'une vraie politique. Parfois, on a le sentiment de vider la mer avec une cuillère. C'est une lutte sans relâche mais indispensable", estime Philippe Rio, maire PCF de Grigny, 29.000 habitants dont 45% vivent sous le seuil de pauvreté.
"Avant la rue"
Le bailleur de Nana Nzinga et Fatima sera jugé en septembre, entre autres pour "conditions d'hébergement indignes" et pour la location d'un local "suroccupé". En situation irrégulière, toutes deux attendent une solution d'hébergement. Un arrêté préfectoral les dispense dans l'intervalle de payer un loyer.
Il y a trois ans, Nana Nzinga avait vu dans son local de 7 m2 loué 200 euros par mois, meublé d'un réfrigérateur, d'un lit une place et d'une table basse, une "dernière solution avant la rue".
"Les locataires de logements indignes estiment parfois que le propriétaire les a aidés à un moment où ils étaient dans la mouise. Ils se sont vus fermer plein de portes avant ça. L'habitat indigne est notamment la conséquence d'un manque de logements abordables et de solutions d'hébergement", affirme Eric Costantin, directeur Ile-de-France de la Fondation Abbé Pierre.
Ces derniers mois, la municipalité s'inquiète de voir des squats installés dans des logements rachetés par l'Etat et laissés vacants en attendant leur destruction ou requalification en logements sociaux. 1.300 appartements doivent être rachetés d'ici 2026 dans le cadre d'un plan annoncé il y a deux ans face à la "spirale du surendettement".
"Tout un réseau de délinquance locale s'approprie aujourd'hui des appartements vides pour y installer des familles. Ces personnes sont difficiles à appréhender car contrairement aux propriétaires, elles ne laissent pas de traces", explique Mathieu Morosini, responsable habitat à la mairie de Grigny.
"Délinquance organisée"
Pour encourager les habitants à effectuer des signalements et à réclamer réparation et travaux, une permanence dédiée a ouvert au coeur du quartier.
Dans le bureau de Modibo Touré, qui suit une cinquantaine de ménages via l'association Nouvelles Voies, Lakamy Sidibé, 60 ans, sort d'un lutin turquoise des photos du 69 m2 loué 950 euros par mois où il vit avec ses quatre enfants, en attendant un logement social. Murs et plafonds sont noirs de moisissure.
Gassama Kama, 65 ans, a lui vécu six ans dans l'une des chambres d'un cinq pièces "où il y avait des souris et des insectes".
"Le propriétaire m'avait dit que c'était temporaire, en attendant qu'un F2 se libère. Ces gens-là profitent des faiblesses des autres", soupire-t-il en renfonçant son bonnet noir.
Le bailleur, qui possède une quarantaine de logements à Grigny 2, a été condamné en première instance en 2021 à un an de prison avec sursis et 100.000 euros d'amende concernant d'autres appartements.
Le tribunal avait pointé dans son jugement "la délinquance économique préméditée et organisée" de ce cadre qui s'était constitué "un patrimoine important au détriment de l'intérêt général". Dominique F. sera jugé en appel au mois de septembre.