Dans ce climat de crise, le groupe des députés indépendants Liot a déposé vendredi une motion de censure "transpartisane" co-signée par des élus de la Nupes. Cette dernière a davantage de chances d'être votée par des députés de droite défavorables à la réforme des retraites. Mais la barre de la majorité absolue pour faire chuter le gouvernement paraît difficile à atteindre.
Le petit groupe Libertés, Indépendants Outre-mer et Territoires (Liot), qui compte 20 députés de diverses tendances politiques se retrouve ainsi en position de pivot. "Le vote de cette motion permettra de sortir par le haut d'une crise politique profonde", a déclaré devant la presse le chef de file du groupe, Bertand Pancher, regrettant que "les collègues de LR ne soient pas signataires".
Le Rassemblement national (RN) devait également déposer une motion de censure.
Les motions de censure doivent être déposées moins de vingt-quatre heures après le déclenchement de l'article 49.3, soit avant vendredi en milieu d'après-midi. Puis il faudra attendre au minimum quarante-huit heures pour qu'elles soient débattues.
"La colère monte"
Blocage du périphérique parisien, de la gare de Toulon ou de Bordeaux, manifestations... Après des rassemblements de plusieurs milliers de manifestants "révoltés" jeudi, les opposants au recul de l'âge de départ à la retraite à 64 ans au lieu de 62 ont repris le combat de manière sporadique vendredi, le plus souvent à l'initiative de la CGT.
Jeudi, l'exécutif a opté pour l'article 49.3 de la Constitution. Cette procédure, déclenchée pour la 11e fois par Élisabeth Borne, permet l'adoption d'un texte sans vote à l'Assemblée nationale, sauf motion de censure.
"On a ressenti cette annonce comme une insulte. On n'a pas été écoutés depuis des semaines, ça a généré pas mal de colère", a déclaré à l'AFP Philippe Melaine, professeur de SVT dans un lycée public à Rennes, où plus de 2.000 personnes ont défilé vendredi, dont plusieurs centaines de lycéens.
Le gouvernement "n'écoute pas ce qu'on ressent au quotidien dans nos professions: on ne se voit pas aller travailler jusqu'à 64 ans, c'est déjà dur d'aller jusqu'à 60 ans", a complété Gulven, infirmier à l'hôpital psychiatrique de Rennes.
A Bordeaux, debout sur les rails ou assis sur les quais de la gare, agitant leurs drapeaux aux couleurs des principaux syndicats, quelque 200 personnes ont crié: "la colère monte".
"Le 49.3 a crispé tout le monde", a déclaré à l'AFP Rémi Vinet, secrétaire général de la CGT Cheminots à Bordeaux, prédisant que cette colère allait "s'étendre à d'autres secteurs à cause de ce 49.3".
Tôt vendredi matin, environ 200 manifestants ont bloqué la circulation pendant une demi-heure sur le périphérique parisien. "On est remontés", a déclaré parmi eux Soumaya Gentet de la CGT Monoprix, promettant qu'elle "tiendra jusqu'au retrait".
La CGT a également annoncé la mise en arrêt de la raffinerie TotalEnergie de Normandie dès ce week-end.
Dépêchés dans les matinales télés et radios vendredi matin, les poids-lourds du gouvernement ont tenté d'éteindre l'incendie.
"Nous avons vocation à continuer de gouverner", a affirmé le porte-parole du gouvernement Olivier Véran.
De son côté, le ministre du Travail Olivier Dussopt a refusé de présenter le recours au 49.3 comme "un échec". "Il y a un texte et ce texte sera, si la motion de censure est rejetée, mis en oeuvre", a-t-il affirmé.
Amertume
Jeudi, des milliers de personnes s'étaient rassemblées place de la Concorde lorsqu'Élisabeth Borne a engagé la responsabilité de son gouvernement.
Annonçant 310 arrestations en France, dont 258 à Paris, jeudi soir, le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin a dénoncé vendredi notamment "des effigies brûlées" à Dijon et des "préfectures prises pour cible". Des incidents ont aussi éclaté à Rennes, Nantes, Amiens, Lille, Marseille ou encore Grenoble.
La patronne des députés Renaissance Aurore Bergé a demandé à M. Darmanin de "mobiliser les services de l'État" pour la "protection des parlementaires" de la majorité.
Dans le même temps, l'intersyndicale a appelé à "des rassemblements locaux de proximité" ce week-end, ainsi qu'à une neuvième journée de grèves et de manifestations le jeudi 23 mars.
Plusieurs responsables syndicaux dans les secteurs du transport et de l'énergie ont mis en garde contre de possibles "débordements" ou "actions individuelles" de salariés de la base.
A l'Assemblée, l'heure est aux règlements de comptes.
D'abord au sein des Républicains, dont les divisions sur ce texte, pourtant façonné par leurs collègues LR du Sénat, ont lourdement pesé sur la décision de l'exécutif. Mais aussi au sein de la majorité, où le 49.3 risque de laisser des traces.
A droite, la posture rebelle du député du Lot Aurélien Pradié, opposé à la réforme et prêt à censurer le gouvernement achève de semer la pagaille chez les Républicains.
Dans la majorité, l'amertume était palpable.
"Il fallait aller au vote vu la teneur de ce texte, vu l'émoi dans le pays", a estimé vendredi le député Modem Erwann Balanant.
"Nous devions ça: à nos oppositions, à ceux qui jusque là ont manifesté leur désaccord avec la réforme, toujours dans le calme et la dignité", a tweeté le député Renaissance de Gironde Eric Bothorel.